Découvrir le monde arabe via l’écrit, une approche incomplète certes, mais efficace pour appréhender des sociétés et des politiques en mutation.
« Pour les personnes curieuses mais pressées, pour celles qui voudraient creuser mais qui jonglent avec plusieurs sujets, pour celles qui débutent et qui ont peur d’être noyées », Charles Thepaut, diplomate français passionné par la zone MENA, propose cette liste de lecture:
1) Les Arabes, leur destin et le nôtre, de Jean-Pierre Filiu qui trace une fresque historique très efficace pour bien avoir les éléments chronologiques importants en tête. L’auteur a un sens de la synthèse qui rend l’ouvrage très accessible.
« C’est par la Nahda que les arabes vont progressivement prendre conscience d’eux mêmes. Cette renaissance arabe, équivalent des Lumières européennes, aura trois pôles principaux: l’Égypte par la puissance d’un État modernisateur, la Tunisie par la légitimité d’une construction constitutionnelle, et le Levant par le dynamisme d’une effervescence intellectuelle », Les Arabes, leur destin et le nôtres , p. 70
2) Pensée et politique dans le monde arabe, de Georges Corm, qui rappelle, derrière les grosses étiquettes « qui tachent », toutes les nuances et toute la richesse de la réflexion politique dans la zone. Un ouvrage sans doute à garder comme dictionnaire pour y piocher des références solides.
« Il me paraît faire œuvre salutaire, tant pour la pensée euro-américaine que pour la pensée arabe, que d’œuvrer pour briser les miroirs déformants à travers lesquels, de façon perverse, chacune se contemple et contemple l’autre, renforçant ainsi des récits canoniques bâtis sur d’innombrables clichés et simplification intellectuelles, qui contribuent tant à l’éclosion d’idéologies virulentes et guerrières. » Pensée et politique arabe, p. 12
3) Comprendre l’islam politique, de François Burgat, qui, à partir de la description de son itinéraire de chercheur, permet de saisir la dimension réactive de l’islamisme. Celle-ci n’explique évidemment pas tout mais, en ce qui concerne la zone, l’ouvrage nous rappelle certaines choses importantes sur la complexité du spectre islamiste, notamment pour lutter contre certains biais d’analyse qui flirtent parfois avec l’ethnocentrisme.
« La nouveauté apportée par l’Etat islamique réside moins dans le durcissement idéologique ou politique que dans l’accroissement brutal de la capacité de mobilisation de la fraction islamiste radicale. » Comprendre l’islam politique, p. 20
4) Vers un nouveau Moyen Orient?, de Pierre-Jean Luizard et Anne Bozzo, ouvrage universitaire sans doute le plus à jour sur le Moyen Orient. Il compile des articles riches qui permettent de conserver en tête de très utiles catégories d’analyse sur les concepts d’identité, de nation, d’Etat et d’appartenance religieuse au Moyen Orient.
« L’avenir de l’État syrien dépendra étroitement du devenir de l’État irakien: si la logique confessionnelle a raison de l’État irakien, il sera difficile à la Syrie de ne pas être à son tour touchée. » Vers un nouveau Moyen-Orient?, p. 22
5) Révolution et état de violence: Moyen-Orient 2011-2015, de Hamit Bozarslan, étude de science politique pure sur les ressorts de la violence dans la région et son impact sur l’évolution des soulèvements de 2011. Ouvrage qui nécessite sans doute un bon bagage préalable, mais qui est conceptuellement très solide.
« La chronologie post-2011 dans le monde arabe (…) est proprement vertigineuse, le temps se pulvérisant par endroit au sens propre du terme. » Révolution et état de violence, p. 39
A ces cinq ouvrages, voici des romans qui donneront un supplément d’âme aux lectures précédentes.
6) Les murailles de Jericho, d’Edward Whittemore, c’est un roman historique, sur un espion israélien infiltré dans la Syrie des années 1960-1970. C’est un beau panorama de la région qui dépeint l’atmosphère de l’époque.
« Tajar s’opposa à l’invasion avec une telle véhémence qu’on le tint à l’écart de toutes les opérations du Mossad ou presque. Les rapports du Coureur étaient traités avec mépris, peut-être parce qu’ils corroboraient les arguments de Tajar. Le Coureur affirmait sans ambages que jamais les Syriens ne tolèreraient un Liban sous domination maronite. La réponse à cette objection tombait sous le sens : les Syriens ne pourraient rien faire tant la supériorité militaire d’Israël était écrasante. Et puis, tout comme Tajar, le Coureur était connu pour adopter un peu trop souvent le point de vue arabe, et les circonstances présentes ne se prêtaient pas à cela. » Les Murailles de Jericho
7) Léon l’Africain, d’Amin Maalouf qui, derrière le récit du parcours incroyable du héros, réalise une fresque historique de la Méditerranée du Moyen Âge.
« Enfin le Caire! Dans nulle autre cité on oublie aussi vite qu’on est étranger. A peine arrivé, le voyageur est happé par le tourbillon des rumeurs, des anecdotes, des foules bavardes. Cent inconnus l’abordent, lui chuchotent à l’oreille, le prenne à témoin, le pousse par l’épaule pour mieux le provoquer aux jurons ou aux rires qui l’attendent. » Léon l’Africain, p. 226
8) Les amants désunis, de Anouar Benmalek, encore une fresque historique, qui va de la guerre d’Algérie à la guerre civile algérienne des années 1990. L’histoire d’amour d’une Suisse et d’un Algérien est à la fois belle et terrible. Elle transmet de manière originale toute la dureté et l’intensité de l’histoire de l’Algérie.
« Pour le moment, je te le concède, on ne peut pas dire que ce soit l’intelligence qui étouffe le monde. Mais que veux-tu qu’on y fasse, toi et moi? » Les amants désunis, p. 223
9) L’arabe du futur, de Riad Sattouf, c’est déjà presque un classique, et les trois tomes de cette bande dessinée autobiographique sont à la fois drôles et fins. Ils permettent de lire et de découvrir avec un autre regard le monde arabe des années 1980 à travers les yeux d’un enfant élevé entre la France, la Libye et la Syrie.
« Mais mon frère qu’est ce que tu fais chez moi? – Mais je suis chez moi ! La maison était vide. Le Guide a donné le droit à tous les citoyens d’habiter les maisons inoccupées, tu sais bien. »L’arabe du futur (t.1)
10) Le quatrième mur, de SorjChalandon, un roman puissant sur le théâtre et sur la guerre civile au Liban.
« Keffieh, barbe blanche, cigarette entre deux doigts, il fumait. Malgré le char, le danger, la fin de notre monde, il fumait bouche entrouverte, laissant le nuage paisible errer sur ses lèvres ». Le quatrième mur, p. 14
« Il n’aurait pas beaucoup de sens de dire que ce sont les ‘meilleurs’ ouvrages sur la région. Je les ai plutôt choisis pour leur capacité à démontrer des choses importantes qui aident à débloquer la compréhension », précise le diplomate, qui publie en février un manuel de présentation de la politique arabe intitulé « Le monde arabe en morceaux » et qui fait la synthèse de nombreux travaux publiés sur la région.
Quant à son intérêt pour le monde arabe celui-ci précise qu' »au début c’était surtout de la curiosité ». Mais à cet intérêt sommaire s’est ajoutée, selon lui « l’envie de mieux comprendre une région dont on parle souvent, et que l’on connaît pourtant si mal ».
Ces suggestions de lecture ne remplacent évidemment pas, d’après Thepaut, la lecture d’autres romans, notamment en langue arabe (Naguib Mahfoudh, Ahlam Mostaghanemi, Tayeb Saleh,…), et encore moins le fait de se rendre dans des pays du monde arabe.
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