La visite avait été annoncée il y a une semaine. Nicolas Sarkozy en déplacement professionnel en Tunisie. Pas plus de détails, à ce moment-là. Hormis une rencontre annoncée, pour des raisons d’ordre logistique, parmi le cercle des Français de Tunisie. L’ancien président de France est donc arrivé, hier. Il a effectué les rites d’usage, en l’occurrence la rencontre avec BCE au Palais présidentiel, le pèlerinage au musée du Bardo, la visite des souks et l’incontournable passage par la case, The Residence.
De nombreuses critiques ont ciblé la visite de Sarkozy en Tunisie. On reproche, notamment, à celui qui préside depuis peu Les Républicains, son action dans le dossier libyen. On ne lui pardonne pas, de ce fait, d’avoir contribué au chaos qui a atteint ce pays voisin, ce qui a influé, négativement, sur la stabilité tunisienne. Des activistes avaient tenté, hier, d’opposer un Dégage à l’égard de l’ancien président français. Tout de suite arrêtés, ils ont été empêchés de nuire à l’image d’hospitalité qu’on voulait offrir à l’invité de Nidaa Tounes.
C’est en effet le parti tunisien au pouvoir qui parrainait cette visite d’un collectif de représentants du parti français de droite composé notamment par Rachida Dati, Eric Ciotti, Christian Jacob et Pierre Lellouche. Un accord serait même prévu entre les deux structures qui voient, en leurs idées directrices, une proximité pouvant les rassembler dans le cadre d’un projet commun. Pas étonnant donc que des leaders de Nidaa aient été présents hier au Bardo, à la conférence donnée dans l’après-midi ou au dîner qui l’a suivie. Ce qui a étonné, toutefois, c’est la présence d’autres personnes dans le cadre de cette visite, à l’instar de Najem Gharsalli.
Le ministre de l’Intérieur a, en effet, été vu à l’arrière de la troupe à la Kasbah. Entamant une virée au souk derrière Messieurs Sarkozy et Marzouk, il n’est pas passé inaperçu. On aurait, en revanche, préféré ne pas le voir à ce moment-là, derrière ces gens-là. Autre écart relevé, l’accueil officiel réservé à l’invité de Mohsen Marzouk. Celui-ci a été reçu au Palais de Carthage, par le président de la République. Que d’honneurs ! Une accolade immortalisée par une photo souvenir et quelques mots puisés dans une langue de bois visiblement intarissable.
Un président, un ministre, des applaudisseurs, des éloges distribués à tout-va, des piques pour l’adversaire outre-Méditerranée, et le tour est joué. Sarkozy aurait donc décidé de démarrer sa campagne pour la présidentielle de l’étranger. Maroc, Israël, Gabon, Tunisie. A la recherche de moments forts pour galvaniser l’image du concurrent de François Hollande. Dans cette bataille franco-française de pouvoir et d’emplacement, la Tunisie a répondu présente et s’est prêtée au jeu de la figuration, avec tout le zèle que cela pouvait tolérer.
On accueillera celui qui se voit, déjà et de nouveau, à l’Elysée comme s’il ne l’avait jamais quitté. Celui qu’on présente comme le futur président de la Tunisie s’en est chargé. Deux potentiels présidents côte à côte. Le passé est oublié. Peu importe l’action de Nicolas Sarkozy par le passé. Peu importe sa position par rapport au soulèvement des Tunisiens contre Ben Ali. Peu importe la réplique de Michèle Alliot-Marie et sa proposition d’aider, par les armes, à calmer les Tunisiens hostiles à l’ami Ben Ali. Peu importe le « je lève mon verre pour votre propre bonheur et celui de votre famille » lancé par Sarkozy président à un Ben Ali déjà despote. Tout s’oublie, en politique, et il n’y a pas d’Histoire hormis celle des alliances à construire, au gré des prédispositions de réussite.
Puisque l’ami qui accueille le tolère, on se permettra les pires déclarations pour le flatter et pour mieux marquer son territoire. « La Tunisie est frontalière avec l’Algérie (et) avec la Libye. Ce n’est pas nouveau… Vous n’avez pas choisi votre emplacement (…) L’Algérie, qu’en sera-t-il dans l’avenir, de son développement, de sa situation? C’est un sujet. Qui me semble-t-il doit être traité dans le cadre de l’Union pour la Méditerranée », a déclaré Nicolas Sarkozy. Le sort de l’Algérie serait donc entre les mains de Sarkozy et de ses compères. La Tunisie est quant à elle à plaindre d’avoir pareil voisinage. La réplique de l’ancien président français a heurté, tant du côté tunisien qu’algérien. Mis à part le fait de le mettre en une position de force et de leadership qu’il n’a réellement pas, cette déclaration ne fait que nuire à l’Algérie, à la Tunisie et à la relation entre les deux pays. C’est pourtant au côté du voisin algérien que la Tunisie pourra avancer dans cette nouvelle géopolitique en cours de façonnage épaulée, soutenue et non pas isolée comme on voudrait qu’elle soit.
Des compliments ont été distribués pour notre « révolution », pour notre « réussite », pour notre parcours et pour notre potentielle possibilité de nous en sortir si une infime partie des aides accordées à la Grèce nous étaient attribuées (une critique acerbe à l’égard de François Hollande). Nos « amis » pourraient même organiser un congrès pour nous sauver, comme ça a été le cas pour la Syrie et pour la Libye. Sacré présage ! Aveuglés par les flatteries, par l’ambition qu’ont rassasiée les promesses, par l’avidité de pouvoir et par l’espoir commun d’y arriver, certains ont toléré hier ce qui devait être repris de suite. La réaction n’étant pas venue de la part des hôtes de Sarkozy, n’étant pas venue, non plus, de la part de parties officielles tunisiennes, elle viendra des internautes, essentiellement, qui se sont mobilisés contre les déclarations d’hostilité à l’Algérie lancées à partir de notre territoire. Notre diplomatie, malmenée à son tour, fait que nous soyons désormais 10 millions environ à faire de la politique étrangère et à réparer des dégâts quand des amitiés de longues dates sont mises à mal par des hommes de main. Les excuses deviennent ainsi quasi hebdomadaires et après celles adressées au pays de Senghor, nos excuses iront cette semaine vers le peuple du million de martyrs, pour la parole de trop de l’invité de trop.
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