8 morts en plein Bardo. Une dizaine de blessés. Plusieurs versions des faits. C’est le topo de la journée d’hier 25 mai 2015. Un topo tragique qui a touché l’armée nationale, les faits s’étant déroulés dans la caserne de Bouchoucha. L’impact de la tuerie a, toutefois, été minimisé par la communication des étapes ; celle qui fait accepter le pire en annonçant à petites doses le mauvais. Acte désespéré d’un militaire en détresse ou acte prémédité d’un militaire devenu potentiel terroriste, la question reste posée, mais personne ne semble plus attendre la réponse.
Lorsque l’information faisant état de « grabuge » au Bardo est tombée, le lundi 25 mai aux alentours de 9 heures du matin, c’est vers la piste terroriste que la lecture des faits s’orientait. Cela n’était pas le résultat de simples spéculations, ni de stratégie cherchant à appâter le lectorat, ni de précipitation à la quête du buzz. Les médias seront aussitôt lynchés virtuellement et virulemment par les internautes, on ira jusqu’à les traiter de « connards », dès que la version officielle du ministère de la Défense a été rendue publique.
Il ne s’agit pas d’un acte terroriste, mais d’un caporal qui a ouvert le feu sur ses collègues pendant le salut du drapeau. On parlera alors de blessés uniquement, on évoquera ensuite trois morts, puis 5 puis 7. On saura que le militaire en question fait l’objet d’une interdiction de port d’armes et on apprendra qu’il a arraché celle de son collègue puis on apprendra qu’il l’a poignardé pour avoir l’arme du crime.
Malgré l’horreur de l’acte d’hier, malgré le nombre important de victimes qu’on ne saura désigner comme des martyrs ou des tués, malgré la nature de la tuerie et le flou qui s’y rattache on croira, en majorité, et sans suspicion aucune, la version officielle de la Grande Muette. La tragédie de Bouchoucha nous aura démontré que la communication officielle a fait de grand pas. Il fut un temps où les versions officielles étaient systématiquement mises en doute, où la théorie du complot était florissante et servait de substitut à des arguments qui ne convainquaient pas la majorité. Hier le contraire a été constaté : c’est contre les médias qu’on se retournera pour dénoncer la non-adéquation de la version des faits donnée par certains d’entre eux avec celle officielle.
Que la zone ait été fouillée, que l’école mitoyenne ait été vidée, que la mosquée adjacente ait été contrôlée, alors que les faits se seraient déroulés à l’intérieur même de la caserne et que l’élément perturbateur a été abattu, rien de tout cela ne rendra perplexe ceux qui se sont empressés d’attaquer les médias. Rien ne fera naître chez eux de marge de doute, alors que le ministère de la Défense, lui-même, a annoncé que la piste terroriste n’était ni confirmée ni infirmée.
Pour ne pas se focaliser comme le font certains sur des champs connexes et maintenir l’attention en éveil sur l’essentiel : ce qui s’est passé hier est d’une extrême gravité. Des militaires de grades divers ont été abattus non pas au détour d’une montagne, dans un buisson non loin du Châambi, sur une route déserte, en pleine nuit ou par des terroristes. La tuerie a eu lieu en plein Tunis, à l’intérieur de la caserne, par un militaire. La piste terroriste n’étant pas occultée par la partie officielle elle-même, les lectures des faits de Bouchoucha en deviennent plus complexes et plus multiples.
De cela les groupes terroristes via leurs organes de communication profiteront, tout comme Yassine Ayari, l’activiste controversé, fils d’un militaire tué ne cachant pas ses relations occultes avec des militaires. La piste terroriste pour laquelle on avait dénigré certains journalistes est désormais de mise puisque l’acte a été revendiqué par un groupe extrémiste et qu’une version diffusée sur la toile décrit un acte prémédité.
C’est une lecture approfondie du profil du militaire-tueur qui permettra de définir la nature de l’acte d’hier, c’est après une analyse des éléments que la Grande Muette a, éventuellement, préféré taire que la piste terroriste sera exclue ou affirmée. La description de ses voisins et amis proches interrogés par des journalistes qui se sont dépêchés chez lui à Tebourba, fait du tueur d’hier le portrait d’un homme « normal », un bon vivant qui a, à peine, commencé à faire sa prière, il y a peu de temps. Leur voisin, cousin et ami ne pouvait donc pas être un extrémiste religieux qui serait passé à l’acte. Toutefois, pareille tuerie en pareille conjoncture, l’assassinat de 7 vaillants soldats, cela ne peut être qu’un acte terroriste, que cela ait un ancrage religieux ou pas.
L’accent se sera à peine posé sur le sujet, le temps d’une polémique autour des médias nationaux, d’une matinée de dénigrement des journalistes et d’une heure de démonstration de connaissances de la part de nouveaux experts multi-spécialisés. La politique des étapes adaptée à l’art d’informer au goutte à goutte aura permis d’assurer une communication efficace, faisant percevoir l’atrocité de l’information comme nettement moins importante que la manière dont on l’a relayée.
Au lendemain du drame, les raisons pour lesquelles on a appuyé sur la gâchette demeurent inconnues. Acte terroriste ou acte isolé, cela ne change pas grand-chose. Les forces sécuritaires du pays ne sont plus visées uniquement, elles sont visées de l’intérieur et c’est encore plus grave. Le doute d’une infiltration mettrait à mal l’image de la sécurité tunisienne en en affectant la perception du pilier principal : l’armée. Quoique la version officielle ait empêché de faire naître tout mouvement de panique, il ne s’agissait pas hier d’un simple fait divers. La minutie s’impose !
8 morts. Une dizaine de blessés. Plusieurs versions. Mardi 26 mai 2015. Lendemain du drame et l’intérêt général est déjà ailleurs. Richesses naturelles, association de défense des homosexuels, dénigrement des médias, la polémique est déjà tout autre. Sacré hasard ! A la caserne de Bouchoucha et en relation étroite avec le SNJT, on formait, ce matin même, les journalistes à « l’art de la couverture médiatique ». Tout est dit.
Paix aux âmes de ceux morts en servant cette nation et en saluant le drapeau.
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