Le Fou de Gibran, le Fou de Jebali, les deux oeuvres se superposent dans une forme de complétude, trois soirées durant, à El Teatro de Tunis (12, 13 et 14 avril). Cette pièce qui a été jouée sur plusieurs scènes étrangères depuis 2001 (et qui en est, après des représentations en 2008, à sa troisième vie de scène) a fait revivre un texte chargé de sens et de symboliques.
Quatre acteurs (et danseurs), un décor minimaliste, des prouesses technologiques, une projection, un sous-titrage en anglais et en français et une musique épousant le tout et donnant une atmosphère particulière.
Le temps est celui de l’infinie perception qu’en a l’être. Le lieu est les tréfonds de cet être, sa conscience, son inconscient, sa réflexion et sa perception de l’altérité et par elle.
Drôle de voyage qu’entreprend Jebali et qu’illustre un jeu d’acteur représentant, par les mouvements du corps, l’intonation de la voix et par la parole, les pérégrinations d’un esprit « fou ».
Fou pour avoir perdu ses masques et découvert le soleil. La raison est ainsi dite et la suite détaille les sentiments profonds de celui qui vit pleinement l’évolution de ses sentiments. Sa tristesse et ses joies, sa peur et sa satisfaction, sa sociabilité et son isolement, la pièce en est l’incarnation et les personnages l’audacieuse interprétation.
« Vous avez votre idéologie et j’ai la mienne », la sagesse de ce Fou s’illustre par nombre de divergences donnant sa particularité à cet être innommable. Son décalage au groupe, son anticonformisme idéologique est ce grain de folie qui a germé et qui éclot sur scène et prend voix.
Des corps en transe illustrent ce désarroi assumé, cette différence portée comme une anomalie bénéfique. A bas la vision binaire des choses et des êtres, à bas le manichéisme et ses valeurs pas si dichotomiques, à bas les stéréotypes et les clichés, le regard galvaudé et le monde du « Tous comme moi! ». Prométhéen comme projet de ré-appréhension de l’univers et de l’humain. Le feu arrivant sur scène plus d’une fois, est cette lueur mythologique dérobée aux dieux et portée par l’homme pour mieux l’éclairer, comme les voix lisant le texte de Gibran éclairent le spectateur.
La différence, le Fou de Gibran la cultive dans le texte et Jebali l’accueille dans un monde restreint comme l’intériorité de l’être, grand comme l’Humanité. Un microcosme obsessionnel rappelant Jung et ses théories de persona, la multitude du soi et le besoin d’être unique dans un monde prônant l’unicité du conformisme aux codes « communs ».
C’est cela la sagesse du Fou. Une pièce poussant à réfléchir en dehors de la bulle.
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