Tu te lèves le matin, tu regardes la date sur ton téléphone: 8 mars, jour de fête dans le monde entier. Sur les réseaux sociaux les fleurs envahissent l’écran. Les voeux te submergent. Tu n’as pourtant rien fait, à part être ce que la nature a décidé pour toi. Fête des femmes du monde. Pourtant dans ce monde, tous les jours c’est ta fête!
Au diable l’euphorie du jour, quand tu te rappelles que tu es en retard pour la démarrer ta vie de femme. Tu t’habilles; tu ne te coiffes pas, car le temps manque. Le temps manque toujours à ta journée de femme active. Hyperactive, tu dois l’être à défaut d’être dépassée par les événements. Ces événements qui vont toujours trop vite qui t’ont faite épouse, puis mère, qui t’avait faite fille de, qui t’ont donné, par le hasard des rencontres, des passions et qui t’ont inculqué, comme une fatalité indispensable à ton épanouissement, l’ambition.
Retour sur terre! Réveiller les enfants. Fait! Les aider à s’habiller. Fait! Les faire petit déjeuner. Pas fait, il faut bien qu’ils te fassent la fête un peu. Courir vers la voiture. Réduire ses rêves de femme à un seul: arriver à l’heure pour l’école. Passer pour une mauvaise mère serait mal vu, en ce jour « bien spécial ». Pourtant, un homme à ta place ne serait pas traité de mauvais père. Soit! On a appris à faire avec…
Faire avec, telle est la démarche qui te réconcilie avec ce monde trop dur avec toi et avec cette société où tu dois faire la dure. C’est ainsi que tu dois être pour ne pas te faire aborder dans les rues de la ville. Avoir une tenue pour le centre ville justement. Pas trop découverte, pas serrée, assez « respectueuse ». Tu la mets systématiquement pour tes virées « dépaysantes » dans des rues qui te ressemblent de moins en moins, des rues des fois hostiles à la femme, car emplies d’une admiration un peu trop débordante. Respectueuse en vers qui en fait? Tu ne le sais même plus mais tu t’y plies par facilité. Ca t’évite, les regards « dénudants », les répliques vulgaires, les réflexions tordues et les compliments insultants car insistants.
Ta ville tu l’aimes, mais tu la détestes. Parce qu’il y a encore des cafés pour les hommes qui jonchent ses trottoirs. Parce qu’elle est matriarcale mais machiste. Parce qu’elle est le reflet de ta société. Et dans ta société, il y a encore des filles qui épousent leur violeur. Il y a des femmes battues qui se taisent de peur de se retrouver sans foyer. Il y a des épouses trahies qui gardent cela pour elle pour garder une stabilité, elles dont les finances sont en mode précarité.
Pourtant la femme dans ton pays est fêtée doublement. Deux dates qui sont, chaque année, l’occasion de rappeler le Code du Statut personnel, les avancées bourguibiennes en la matière, les prouesses de femmes particulières et la particularité bien tunisienne de la gent féminine.
Deux fêtes, un CSP- jadis avant-gardiste – et un énorme décalage entre le texte et la pratique. Entre la rue et la télé, entre les articles vantant tes mérites et des pratiques sociales les rabaissant.
Peut-on être femme en étant individualité? Le propre de la femme est la générosité, c’est ce que disent, du moins, certains stéréotypes. Il n’y a pas lieu d’être euphorique donc, tant que le topo est en clair obscur. Tant que la société n’a pas suivi le mouvement de ses textes et que des femmes pâtissent ça et là de questions de genre devant avoir cessé d’exister depuis longtemps.
Tu cesses tes pérégrinations lorsque ton fils te demande de baisser le son de la radio annonçant à coup de chansons spéciales et autres voeux lancés à tout va. « Maman, est-ce qu’il y a une fête de l’Homme? », « Non, mon fils et c’est quand il y en aura une, qu’il y aura quelque chose à fêter! ».
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