L’affaire défraye la chronique depuis plusieurs jours: des candidats à la migration clandestine vendus comme une vulgaire marchandise en Libye. Oui, en 2017, pour quelques centaines de dollars, il est possible de vendre une vie humaine, tarifée selon la puissance physique du concerné. L’on vend en effet, des vies, un passé, un avenir, un état d’âme ramené au plus bas historique, l’on vend au plus offrant une Histoire de l’humanité qu’on pensait avoir vu évoluer, l’on vend la part d’humanité que l’on croyait évidemment ancrée en chacun de nous.
Des citoyens issus de Nations qu’unissent des traités et des protocoles criminalisant la traite des humains (voir Protocole de Palerme ), sont les nouveaux vassaux. Et face aux tares historiques, aux écarts culturels, aux pratiques plus ou moins tolérées selon l’emplacement géographique, nous cessons de faire unité. Le Nous se disloque face à la misère humaine, l’empathie face à l’Autre et à sa détresse cédant la place au profit, au cynisme, à l’animal.
Otages d’un système archaïque:
Ils sont nombreux à être encore traités comme des sous-hommes et des sous -femmes dans des sociétés vues d’un point de vue macro comme modernistes. D’un point de vue micro, les pratiques les plus abjectes y continuent d’exister.
Malgré une loi contre la traite des hommes adoptée en 2016, dans la Tunisie profonde, de nouveaux rentiers continuent de sévir.
En Tunisie, le premier pays arabe à avoir aboli l’esclavage il y a de cela plus de 170 ans, le commerce des aides ménagères n’a jamais cessé d’exister. Des fillettes continuent d’être « vendues » via des intermédiaires par des parents peu scrupuleux que seul intéresse la rente mensuelle gagnée de pareilles transactions. La pauvreté est-elle une raison pour laisser partir son enfant, des fois mineur, vers l’inconnu? Malheureusement, pour beaucoup, la réponse est oui.
Cela se fait au vu et au su de tous. Les dimanches, à quelques centaines de kilomètres de la capitale, des familles partent à la recherche de misérables fées des logis. A leur accueil, des énergumènes qui s’improvisent intermédiaires entre des individus pratiquant la loi de la jungle. Le plus souvent elles sont livrées contre leur gré moyennant une commission et un salaire de misère qu’elles ne perçoivent même pas, car expédié directement au père de famille.
Dans d’autres cas, celles-ci sont heureuses de quitter leur misère matérielle ignorant la misère morale qui les attend. Qu’importe pour elles qui voient comme est sordide le devenir des femmes les plus affranchies de leur entourage! En effet, dans ce monde loin du monde, pour beaucoup, il ne s’agit pas d’avenir mais de devenir, pas de choix mais de fatalités. Des femmes libres à l’échelle nationale et d’un point de vue législatif se retrouvent otages d’un système social aussi archaïque qu’anachronique. Une configuration selon laquelle elles sont instrumentalisées par des époux véreux les faisant travailler pendant qu’eux jouissent du statut de chômeurs assistés. N’est-ce pas là l’un des visages de l’esclavagisme ?
Frissons de circonstance:
Et ce n’est pas mieux ailleurs. En Mauritanie, une codification sociale essentiellement raciale sert de prétexte à l’esclavage. L’indignation très épisodique de la communauté internationale n’a pas aidé à mettre fin au fléau. Peut-être a-t-on besoin d’une vidéo qui buzze pour en finir avec pareils crimes contre l’humanité.
Des vidéos choc, ce n’est pas ce qui a manqué au Liban où la maltraitance des personnels de maisons de nationalités étrangères sévit et a fait des victimes. De nombreuses dénonciations y avaient ainsi fait écho au suicide d’une aide ménagère éthiopienne après de nombreuses agressions infligées par son employeur. C’est aussi dans ce pays des plus en modernes des pays arabes qu’une autre forme d’esclavage a été publiquement dénoncée après le démantèlement d’un réseau de trafics d’êtres humains ayant fait de nombreuses réfugiées syriennes des esclaves sexuelles.
En réalité, l’esclavage n’a jamais cessé d’exister. Ce sont juste les manières de le pratiquer qui ont muté et cela n’est pas le propre des sociétés matériellement fragiles.
La preuve dans les riches pays du Golfe. Des travailleurs étrangers y sont traités comme des sous-hommes. Leurs passeports confisqués, ils sont la proie de familles sans scrupules les exploitant sans le moindre respect de leur dignité humaine.
Cela fait l’objet de tollés à la suite de quelques reportages dénonciateurs ou après de tragiques faits divers. L’un des plus récents a eu lieu il y a quelques mois, lorsque sur la toile a été diffusée la vidéo d’une travailleuse éthiopienne chutant d’un bâtiment. La scène filmée par l’employeuse fait froid dans le dos. Des frissons de circonstance ne débouchant sur aucun changement pour des milliers d’étrangers partis chercher du travail au pays de l’or noir et n’ayant retrouvé qu’une misère humaine aliénante.
Une misère instrumentalisée:
Dans nos sociétés arabes modernes , plusieurs années après l’abolition de l’esclavage, la servilité se poursuit faisant abstraction des lois internationales et d’éthiques censées être universelles. Le nouvel esclavage est ce moyen banalisé qu’ont trouvé de mieux nantis pour instrumentaliser la misère des plus faibles. Il se pratique en marge d’un monde que l’on pensait avoir changé et de mentalités se révélant immuables comme la misère humaine.
La scène filmée par une journalisme américaine en Libye a certes choqué. Le monde effaré a découvert que, quelque part sur terre, l’esclavage existe encore, au vu et au su de la foule complaisante. Alors que c’est désormais su par la communauté internationale, cela sera-t-il amené à changer? Pas tant que des sociétés entières s’écarteront des normes sociales et éthiques internationalement reconnues. Pas tant que les mentalités rétrogrades et les mauvaises pratiques à l’ancrage social profond l’emporteront sur les législations. Les sociétés développées sont celles dont les moeurs ne sont pas en guerre avec les lois.
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