L’expression du désir du peuple au moyen du slogan « Le peuple veut… » a permis de faire chavirer un système de valeurs dans lequel seul le gouvernant avait le pouvoir. Des protagonistes aux genres divers ont commencé, depuis, leur danse de séduction, cherchant à satisfaire celui qui était mis en quarantaine et qui représente, désormais, une force. Et pour séduire ce peuple rien n’est plus approprié que le populisme, évidemment. Du populisme on en servira à toutes les sauces.
Les émissions de télévision iront chercher au plus bas que cela puisse être possible de quoi confectionner leurs émissions de variété, de téléréalité et de talk show. On optera pour un degré zéro de langage et on ira vers un prosaïsme médiocre dans les thématiques. De quoi attirer l’attention et donner au peuple devenu quasi bipolaire ce qu’il attend, mais qu’il dénigre. De nombreuses émissions seront, ainsi, au centre de vives polémiques, critiquées à chaque diffusion et pourtant très bien suivies, régulièrement par ceux-là mêmes qui les critiquent ardemment. Sur les réseaux, l’indignation s’affiche et dope un audimat assez conséquent malgré le dénigrement annoncé.
Le populisme, les politiciens aussi s’y mettront. Des leaders de renom aux moins charismatiques, des députés aux politiciens de talk show, le maître-mot sera de dire au peuple ce qu’il voudrait écouter, voire davantage. On creusera le fond pour transcender l’électorat et gagner sa considération. On lui servira balivernes et autres mensonges grossiers qu’il saura lire comme tels, des fois, mais par quoi il sera manipulé, tant d’autres. L’enjeu est en effet important: des élections à gagner, des réputations à reconstruire et des virginités à racheter. Ceux qui ont gagné les précédentes élections l’avaient compris. Ils avaient offert au peuple un discours religieux concrétisé en cadeaux utiles : moutons, couffins de courses, cours particuliers. D’autres lui ont offert un discours révolutionnaire, tendance à l’époque : slogans enflammés, promesses de vengeance, le tout arrosé avec parcimonie au sang des martyrs et des blessés d’une révolution martyrisée à souhait. Pour mieux parler au peuple, on utilisera lunettes, oiseau et poisson… Celui-ci avait répondu présent !
Ne changeant pas une recette qui gagne, les politiciens surfent sur la vague populiste encore une fois, depuis ce samedi 14 avril. C’est que le verdict dans le cadre de l’affaire relative aux blessés et aux martyrs de la révolution s’y prête bien. Des communiqués ont été publiés par dizaine pour transmettre au public l’indignation de sa classe politique. Celle-là même qui dénigrait les familles des victimes quand elle était au pouvoir et qui ne s’était pas indignée quand elles ont été agressées lors d’une manifestation de colère au ministère des Droits de l’Homme. La commission des martyrs et des blessés au sein de l’ANC n’a pas manqué, à son tour, de se rappeler de sa tâche première, elle qui a pourtant été désignée par les familles concernées comme hermétique à leurs requêtes. Les députés se sont évertués dans les discours grandiloquents, des statuts Facebook ont exprimé leur étonnement et certains ont été jusque vers des décisions se voulant héroïques atteignant ainsi un paroxysme dans la surenchère et dans la propagande. Ils sont une dizaine à avoir annoncé le gel de leurs activités à l’ANC, tant que le comité de « la Dignité et de la Vérité » n’a pas été effectif.
Hier encore, ces mêmes politiciens et organismes revendiquaient l’indépendance de la Justice et saluaient la rigueur de la justice militaire. Ils se déchaînent, depuis trois jours, contre un verdict qui a- il est vrai- beaucoup surpris, mais qui n’en demeure pas moins justifié. Tout a priori mis à part, tout slogan et surtout tout populisme écarté, le verdict de ce samedi s’est basé, selon certains observateurs, sur des faits et des preuves, voire une absence de preuves. Que certains crient aujourd’hui au scandale est pour le moins étonnant. Mais s’étonnent moins ceux qui se rappellent du « propagandisme » ayant amené certains dans la sphère politique. Sont peu surpris, ceux qui songent au discrédit qui caractérise l’action politique de certains figurants, accessoirement politiciens et sommairement droit-de l’Hommistes.
Le courroux populaire que l’on voit depuis l’annonce du verdict de ce samedi n’est pas seulement alimenté par les crimes pour lesquels ont été jugés les hauts cadres sécuritaires et autour desquels plane encore le mystère. Ils sont aussi une réaction par rapport à l’oppression vécue au temps de Ben Ali, la torture et autres crimes avérés pendant la période où ils étaient aux commandes du ministère de l’Intérieur. Le décalage entre les faits reprochés par la justice et ceux reprochés par le peuple génère forcément un décalage entre le verdict et les attentes que beaucoup avaient quant à celui-ci. Le populisme d’une certaine « élite » n’a aucunement puisé dans la rationalisation de quoi anticiper le verdict et de quoi y songer à temps. L’absence de preuves dans les dossiers de ceux qui pourraient être derrière les meurtres des martyrs a été relevée, depuis un certain temps. Que le peuple réclame que justice soit faite, cela est admissible. Cependant que des politiciens chevronnés réclament que justice soit faite, sans preuves et sur de simples présomptions, cela devient plus déconcertant.
Cet acharnement soit puérile, soit sournois, n’a qu’une réponse plausible, c’est le populisme qui devient, dans nos contrées, un art. Celui de dire ce que l’on ne pense pas, mais que le peuple veut entendre et d’être dans »l’excessivité » quand il s’agit des coupables présumés et dans la sensiblerie quand il s’agit des victimes. L’attitude hautaine de nos politiciens avait créé un hiatus entre gouvernants et gouvernés. L’attitude populiste pour laquelle a adopté « le nouveau modèle » de politiciens (terme emprunté au Chef du gouvernement Mehdi Jomâa) est en passe de creuser le fossé entre le peuple et
ses représentants actuels. « Le peuple veut… », bien beau le slogan ! Mais la conjoncture veut surtout une vraie élite capable d’aiguiller les désirs du peuple vers le rationalisme et non vers l’anarchie.