Trois ans après, il ne reste de la révolution tunisienne que des images en noir et blanc, que des souvenirs de chants de révolte passés de mode, que des éloges faits par des dirigeants étrangers à notre démocratie naissante, que quelques langues déliées. Libérées, certaines plumes le sont désormais, aussi, mais pour dire l’impensable : ces pratiques que l’on croyait révolues, l’amour invétéré du pouvoir, la médiocrité politique, l’épopée quotidienne de ces dirigeants au creux de la vague et de ceux qui, chaque jour, touchent le fond et restent, tout de même, encore à la surface.
Dans la nuit d’hier, lundi 12 mai 2014, un activiste a été arrêté. Son nom est connu en Tunisie et son profil l’est aussi pour la police tunisienne. Aziz Amami est un activiste, un blogueur, un citoyen, en somme, sensible à l’injustice, insensible à l’intimidation. Aziz Amami a été arrêté à La Goulette puis transféré à Bouchoucha. Il a été écouté dans le cadre d’une affaire en relation avec sa potentielle détention de cannabis.
Aziz Amami est un de ceux qui ont lancé l’opération « Moi aussi, j’ai brûlé un poste de police ». L’intitulé de la campagne est incendiaire et violent. Ce qu’elle dénonce l’est également : des jeunes comparaissent, en ce printemps 2014, pour ce qui a été, selon de nombreux activistes, les prémices du printemps arabe. Ils sont jugés pour avoir attaqué des postes de police, un acte perçu dans la sphère militante, comme fort symbolique ; voulu subversif, il visait à faire chuter un régime dit policier.
L’arrestation de Aziz Amami a suscité, sur la toile, un important mouvement de soutien et d’indignation. Quelques rassemblements sont prévus, aujourd’hui, pour contester l’arrestation et organiser l’action qui lui fera suite. Son père a dénoncé l’agression qu’il aurait subie, son avocat Bassem Trifi a crié à l’injustice, ses acolytes ont crié au scandale et la raison appelle à plus de pondération.
Oui, si Aziz Amami a été victime d’agression de la part des agents de l’ordre qui l’ont arrêté, cela est à dénoncer et bien plus. Oui, tout abus devra être sanctionné. Mais en aucun cas l’action militante ne doit être une raison pour aller outre la justice. Etre militant par la parole, par l’action, par l’expression artistique ne doit aucunement devenir un passe-droit. Les militants de l’avant révolution ont combattu l’impunité et ont lutté contre la présence d’une classe de personnalités hors système judiciaire car dans le système para-politique. Se plaçant en dehors du système du pouvoir, les militants d’hier devraient, à ce titre, éviter de devenir une nouvelle classe de favorisés et l’action en faveur des droits de l’Homme ne devrait pas être un droit pour être au delà de la loi.
Le militant Aziz Amami est avant tout citoyen, dans sa défense de la patrie, dans son acharnement contre ceux qui la menacent, dans ses prises de position en faveur des opprimés par le système. Une éventualité est donc à garder vive : la police a, peut-être, arrêté, hier, le citoyen et non le militant. A ceux qui défendent la patrie et ses valeurs de ne pas contrecarrer les lois et de laisser la justice prendre son cours quel que soit le vis à vis. Veiller au respect des procédures, tel doit être le rôle de la société civile, que cela concerne un leader d’opinion ou un citoyen sans renommée aucune.
Les campagnes « #free…» que l’on voit sur la toile ont été tellement usitées qu’elles en sont arrivées à être reprises ironiquement par les publicitaires. Les opérations organisées par des jeunes et aux slogans volontairement provocateurs comme « Moi aussi je fume du cannabis » sont dénoncées pour l’incitation au fait d’aller contre la loi (avant que celle-ci ne soit revue comme le réclament des associations et autres acteurs de la société civile). L’action militante doit être un garde-fou contre les dérives et ne doit aucunement devenir une invitation à une dérive tout autre car ce contre quoi la lutte s’opère n’est pas le pays et ses principes fondateurs, mais un système de passage contre lequel le combat doit être bien pensé et sans failles.
Certes la coïncidence est déconcertante, certes désolant est le fait de constater que dans l’impunité ont agi certains, que la loi a été sélective, que la police est preste dans l’arrestation de ceux qui se positionnent comme ses ennemis, que le système est clément envers ceux qui en seraient les adjudants. Que soient dénoncées toutes les dérives, mais que ne soit accordée la primauté qu’à la citoyenneté et donc à l’égalité de tous, au regard de la loi! C’est à ceux qui sont les plus vigilants quant aux droits de chacun, d’être les plus rigoureux quant à l’application de la loi sur tous.
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