Une fille a été violée par des policiers. Oui, cela a un air de déjà lu. Non, cela ne concerne pas la Tunisienne Meriem, défendue par des dizaines de militants des droits de l’Homme et soutenue par des centaines de citoyens, au moins. Les faits ne se sont pas déroulés à la banlieue tunisienne de Aïn Zaghouan, mais à Paris, au 36 quai des Orfèvres, exactement.
Le scénario rappelle à s’y méprendre les faits de la série policière éponyme. Dans la nuit du 23 avril, Emily S., une touriste canadienne, a quitté la bâtisse historique de l’Ile de la Cité en pleurs. Quatre policiers de la Brigade de Recherche et d’Intervention l’auraient violée dans les bureaux de la prestigieuse institution. Très vite l’affaire s’ébruite. On évoque le consentement tacite de la fille qui a accompagné les policiers du bar d’en face à leurs bureaux. On évoque son comportement au même bar, depuis quelques jours. Comme justifié, ce qui pourrait être un crime devient plus banal.
Des extraits dévoilés du procès-verbal relatif à l’affaire font état d’un intérêt pour la personnalité de la plaignante, un intérêt qui pourrait être qualifié de bien orienté. Evoquant une sexualité très libre, ledit PV dresse un portrait de la jeune fille violée en en faisant une sorte d’«élément à la décharge des prévenus accusés de viol », lit-on dans l’Express. Un procès verbal qui n’est pas sans rappeler un procès moral fait à la violée tunisienne Meriem qui a été, un certain temps, accusée d’avoir eu une attitude contraire aux bonnes mœurs. Cette accusation portée à la jeune Tunisienne violée a été un point crucial dans l’internationalisation de son affaire. Sensibles à l’injustice qu’elle a subie, militants, avocats et journalistes français s’intéresseront, de très près, à son dossier.
La jeune tunisienne a pu, à peine l’affaire bouclée, partir vivre en France. Elle a pu bénéficier du soutien d’un avocat français, de l’appui d’associations françaises de renom et d’une prise de relais médiatique, afin de présenter l’horreur vécue par une femme arabe outre-Méditerranée. Meriem se fera éditer un livre en France dans lequel elle évoquera ce qu’elle a vécu. Sur les plateaux français on s’indignera de ce que peut être le fait d’être abusée par ceux qui sont censés être les garants de la sécurité de tous. On criera à l’horreur quant au fait de se retrouver quelque peu salie alors qu’on est une victime.
La France vit, depuis quelques jours, des faits similaires qui se sont déroulés, de surcroît, au sein même d’un établissement réputé pour sa rigueur. La touriste canadienne Emily S. est repartie dans son pays, quelques jours après avoir été écoutée par la police. Pour elle, point de plateaux, point de livre pour l’instant, pas de carte de séjour proposée, pas d’associations de renom pour la soutenir et très peu d’émoi autour de son affaire, hormis quelques articles et reportages laconiques dans les JT.
Le soutien à la fille violée par des policiers français viendra peut-être des militants tunisiens des droits de l’Homme. Des avocats tunisiens s’empareront, qui sait, du dossier. Notre journaliste national, Naoufel Ouertani, invitera, peut-être, la violée, comme l’ont fait des journalistes français pour notre violée à nous, devenue, depuis, la leur. Des maisons d’édition tunisiennes inviteront, peut-être, Emily S. à écrire un livre. Le droit de séjour sur nos terres lui sera peut-être accordé… Non ! L’affaire restera en France, sa gestion ne dépassera pas les frontières de l’Hexagone.
Meriem Ben Mohamed, comme Amina Sbouï, a trouvé refuge en France. Une France qui met sur les devants de sa scène médiatique les limites de notre système social et judiciaire quant à l’exercice des libertés et les abus qui sont constatés dans ce contexte. Une France qui a pourtant, comme nous, ses propres travers. Pourquoi les militants des droits de l’Homme sont-ils sélectifs dans leur militantisme, intéressés, comme exclusivement, par les affaires des autres ? Des questions se posent, à voir de près les financements autour de certaines ONG, à voir l’intérêt accru pour certains dossiers médiatisés et prenant une dimension internationale, à voir des principes qui deviennent un fonds de commerce.
La France a été frappée par un mal similaire au nôtre, celui d’une délinquance policière. Même si le viol ne serait pas avéré, il se suffirait, comme preuve, du fait d’avoir introduit une étrangère sur le lieu de travail. Ce n’est pas l’unique mal similaire au nôtre que vit la France. La France connaît la crise, la France connaît la présidence contestée, la France connaît le mal-être journalistique, la France connaît les lourdeurs administratives, la France reconnaît les limites de ses députés. Et à ces limites, une solution a été, partiellement, trouvée : des élus iront faire des stages en entreprise pour mieux légiférer, a-t-on décidé il y a quelques jours. Au lieu d’importer nos dérives, en voilà une initiative que la France devrait nous exporter ! Cependant, elle serait dure à appliquer ; car, pour certains de nos élus, un stage ne suffira pas, toute une éducation est à refaire…