Il fut un temps où les médias étaient le seul moyen pour les politiques de communiquer avec les citoyens. Hormis les rencontres directes peu nombreuses, occasionnelles et protocolaires, un ministre, ça ne se croisait pas au coin de la rue ou très rarement. En Tunisie du moins. Les temps ont changé et avec l’apogée qu’atteint l’utilisation des réseaux sociaux en tous genres, un ministre ça aime, ça partage, ça twitte et ça instagram. Finis les discours guindés et les attitudes calculées à l’avance. Désormais, un chef de gouvernement, ça plaisante, ça improvise, ça marche dans les rues de Paris et ça fait son jogging le matin. Décryptage d’une communication politique qui se démocratise.
En Tunisie, l’usage qu’on faisait de la communication politique se limitait à la préparation minutieuse des discours et de l’art de les dire. Des théories revues par nos technocrates qui, arrivés au pouvoir, ont donné à l’Etat une dimension autre. Décontraction, voilà le maître-mot apparemment pour ces gouvernants jeunes aux commandes de la Tunisie depuis peu.
Plutôt commencer par elle, tant elle a été pionnière dans l’affaire : Amel Karboul. Ministre du Tourisme, experte en communication, elle a réussi à faire parler d’elle, dès son arrivée dans le gouvernement. Son « let’s rock the boat » rédigé, le 30janvier 2014, sur le livre d’or de la Fédération tunisienne des Agences de voyage et de Tourisme, avait surpris par sa légèreté et son « exotisme ». Ses tweets où elle évoque son activité ministérielle avaient étonné. Son compte Instagram est, quant à lui, depuis quelques jours, scruté de près, suscitant, à la fois, indignation et admiration.
Quels que soient les positions et les arguments de chacun, le résultat est bien là : Amel Karboul a réussi à faire parler d’elle. Pourtant, deux affaires politiques ont été enclenchées à son égard. La première concernait l’arrivée d’Israéliens à bord d’un bateau de croisière et empêchés d’entrer sur le territoire tunisien. L’autre est encore en cours et concerne une autorisation accordée conjointement par Ridha Sfar, ministre délégué chargé de la Sûreté et par la ministre du Tourisme.
L’impact des deux affaires n’aura pas affecté l’image d’Amel Karboul, quoique les faits reprochés soient de nature très délicate. Sa relation avec Israël, voilà un reproche persistant depuis le passage de l’actuelle ministre devant les élus de l’ANC, en janvier 2014.
Le gouvernement a visiblement préféré éviter d’entrer dans la polémique lancée par des députés à la suite de la fuite du document « incriminant », selon eux, Amel Karboul et Ridha Sfar.
Mehdi Jomâa ainsi que la ministre du Tourisme ont annoncé qu’ils acceptaient que soient auditionnés à l’ANC les concernés, ne donnant ainsi aucune raison à l’affaire d’intéresser une opinion publique se focalisant, en général, sur les polémiques.
A Paris, Mehdi Jomâa, comme ses ministres, opteront pour un discours certes décontracté, mais bien étudié. S’en dégage une « positivité » qui se veut engageante camouflant ainsi les affaires d’ordre politique qui pourraient rebuter quelques-uns si on les ajoute à la difficulté économique tunisienne persistante.
Une évidence que Mehdi Jomâa met en application. En atteste son discours au vocabulaire volontairement décontracté, son attitude oscillant entre légèreté et rigueur et ses clins d’œil à ses collaborateurs.
Hier, lors de sa conférence à l’université Paris Dauphine, le chef du gouvernement, dira en invitant ses ministres à répondre aux questions de l’assistance, en relation avec leurs secteurs d’activité, qu’il ne veut pas que ceux-ci s’habituent à la présence passive. Il avouera, par ailleurs, avoir « posé une colle » aux gouverneurs en leur demandant, lors d’une réunion, de traduire un terme qu’il avait présenté comme se rattachant au domaine économique, alors qu’il ne l’était vraiment pas, selon ses propres dires. Le terme en question était résilience, cet art de se sortir grandi des situations difficiles.
Résilience ! Malgré la crise aiguë par laquelle passe la Tunisie, une crise aussi bien politique qu’économique, le rajeunissement dans la manière de faire, reflet de la manière d’être de nos nouveaux gouvernants, innove, percute et maintient presqu’intact le préjugé favorable qui leur a été accordé. Demeurent, tout de même, sceptiques quelques-uns, quant à l’attitude, frileux d’autres, quant à son efficacité. A voir ce qui se passe ailleurs : les attitudes décalées d’un Barack Obama hamburger à la main, d’un Dalai Lama actif sur Twitter, du pape François qui rejoint Instagram, on ne peut que se dire que nous sommes dans l’air du temps, si ce n’est pas le cas de tous les Tunisiens, c’est du moins celui de Karboul et de ses acolytes 🙂
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