Lundi 28 et mardi 29 avril 2014, Mehdi Jomâa, chef du gouvernement tunisien accompagné d’une délégation ministérielle, ont entrepris un voyage officiel en France. A l’arrivée, les attentes étaient importantes et, au retour, les retombées le sont aussi. C’est ce qui a été annoncé lors des différents points de presse organisés et tenus par M. Jomâa, ses ministres et leurs interlocuteurs français. Qu’en est-il de cette visite et qu’en sera-t-il des promesses qui y ont été accordées ?
L’Histoire de la Tunisie est marquée par trois phases : près de huit décennies de lutte sanglante contre la colonisation, environ trois décennies de lutte passive contre la dictature et trois ans contre les dérives de l’islamiste rampant et son corollaire, l’extrémisme religieux. La France était l’objet de la lutte première de la Tunisie. Elle a été, d’une certaine manière, un soutien à la seconde. Quant à cette troisième phase, la France a visiblement opté pour une position de soutien.
Telle est la volonté exprimée, tour à tour, par Manuel Valls, premier ministre français, par Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères, et par François Hollande, président français. Outre leurs projets de vacances potentielles dans nos contrées, les dirigeants français ont avancé des propositions selon lesquelles la France entamera une phase de soutien active à notre pays. Car en l’absence d’un sursaut économique réel, notre démocratie naissante, quoique flattée par les démocraties bien mûres, est vouée à l’échec. Conscient de cette condition de taille, Mehdi Jomâa a entrepris ce voyage, consciente de notre besoin et de ses retombées, la France a répondu présente.
Plusieurs points d’accord ont été trouvés quant à des collaborations de genres divers entre la France et la Tunisie. Les plus importantes porteront sur le volet économique. Pierre Ghattaz, président du MEDEF, a, en effet, évoqué « la volonté des entreprises françaises de renouveler leur soutien à la Tunisie ». Se voulant rassurant, il a annoncé que les entreprises françaises n’envisageaient pas de quitter la Tunisie, mais souhaiteraient y investir davantage. Le regain de confiance des entreprises françaises en la Tunisie a été rappelé aussi par Noureddine Zekri, secrétaire d’Etat chargé du développement et de la Coopération. Sont à l’ordre du jour donc des projets d’envergure tels que l’arrivée en Tunisie du leader français de la sécurité Thalès, de projets nouveaux du groupe Auchan et de la banque française Société générale. Des représentants de ces deux dernières sociétés ont, en effet, rencontré Mehdi Jomâa, à l’ambassade de Tunisie.
Secteur annexe aux répercussions importantes, aussi bien sur le plan économique que social, la coopération en termes de technologies et de coopération universitaire a été un des points dans le cadre desquels des efforts seront déployés du côté français. C’est ce qu’a affirmé Taoufik Jelassi, ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche scientifique et des TIC. La Tunisie mettra en place, comme il l’a annoncé, le DSI de l’Etat qui regroupera les différentes composantes du système d’informations de l’Etat et qui sera le coordinateur général du secteur des technologies en Tunisie. Par ailleurs, a été annoncée, en marge de la visite officielle de Mehdi Jomâa en France, la création d’une « ville du savoir » dans les environs de Tunis. Composée de plusieurs campus universitaires à l’américaine, celle-ci sera réalisée, dès 2015, sur un terrain de 40 hectares, dans le cadre d’une coopération entre Paris Dauphine et le groupe Mabrouk.
Par ailleurs, et sur le plan local, la polémique autour de l’arrivée d’Israéliens en Tunisie a atteint son apogée avec notamment une motion de censure signée par quelques élus afin de sanctionner les ministres l’ayant autorisée. C’est dans ce contexte très délicat que Mehdi Jomâa ainsi qu’Amel Karboul, ministre du Tourisme, ont tenté de réanimer un secteur souffrant de trois ans d’insécurité et de soubresauts politiques déstabilisateurs. Rassurer les juifs, c’est ce qu’a voulu faire Mehdi Jomâa lors, notamment, de son intervention, ce matin du 29 avril sur Europe 1. « Les juifs venaient avant la révolution, pendant la révolution et sont les bienvenus après la révolution pour faire leur pèlerinage », a-t-il en effet déclaré.
En outre, le chef du gouvernement, dans une initiative assez décalée et quelque peu improvisée s’est rendu, hier, entre deux rendez-vous, au quartier de Belleville, réputé pour être le QG des juifs tunisiens de Paris. Ce qu’il a qualifié de « moment agréable » a été perçu par quelques représentants de la communauté juive comme une attention particulière à leur égard. Notons, toutefois, un hic important : plusieurs médias tunisiens ayant fait le voyage pour couvrir la visite parisienne de Mehdi Jomâa n’ont pas eu vent de cette virée, quoique présents à toutes les étapes de son séjour parisien. Dans un souci de communication efficace et transparente, dans un souci d’équité envers ceux qui ont fait le déplacement, il aurait été meilleur que Mehdi Jomâa et ses troupes ne fassent pas subjectivement le tri parmi les journalistes, faussant au passage la route aux autres.
Une omission dira-t-on, une erreur peut-être, et non l’unique. Des cafouillages, il y en a eu lors de cette visite ; subis essentiellement par les journalistes présents. Alors que le programme de la visite mentionnait une réception à l’ambassade en présence de chefs de médias, un des représentants de l’ambassade de Tunisie en France annonce clairement aux journalistes tunisiens que cette soirée n’est pas inscrite dans leur programme. Invités à rejoindre leur hôtel, les représentants de la presse tunisienne ayant fait le déplacement jusqu’à Paris, se verront avancer l’argument : seuls les journalistes français sont concernés. Au bout de tractations ayant duré une journée entière, c’est Nabil Ben Hadid, chargé des protocoles au sein de la présidence du Gouvernement et en remplacement visiblement à Abdesselem Zebidi, qui accordera aux journalistes tunisiens le droit d’accéder à leur ambassade le temps d’une soirée mondaine.
La soirée de l’ambassadeur, un des points d’orgue de la visite de Mehdi Jomâa à Paris, a vu la participation de plusieurs personnalités de renom, de France et de Tunisie. Y assisteront des artistes plus ou moins connus, controversés comme Nadia El Fani, appréciés comme Michel Boujnah. Des hommes d’affaires et des ministres, y prendront part également. La soirée aura permis à beaucoup de découvrir l’épouse de Mehdi Jomâa qu’on aura vue pour la première fois. Cependant, alors qu’elle était sur le point de répondre à nos questions, le chef du gouvernement lui dit qu’elle ferait mieux d’éviter. « Je préfère qu’elle ne soit pas exposée, ni elle ni les enfants », nous déclarera-t-il. « Ca sera perçu comme un mauvais point pour la liberté de la femme », rétorquera en souriant Héla Jomâa. On n’en saura pas davantage sur celle que beaucoup parmi l’assistance abordent avec familiarité et sympathie. Par ailleurs, une autre épouse sera également remarquée, lors de cette soirée : Selma Fekih, épouse de l’ambassadeur controversé, Adel Fekih, réputé pour sa nomination politique à la tête de notre représentation diplomatique en France. Celle qui se présente à nous comme « l’ambassadrice » veillait depuis le matin sur les moindres détails concernant la soirée. Attentive à la décoration au point de la prendre pour la décoratrice, elle affirme à Business News son engagement pour la promotion de la culture tunisienne et rappelle, dans ce sens, ses actions entreprises en collaboration avec des associations de Tunisiens de France.
De Abdou Diouf, président de l’Organisation internationale de la Francophonie, à François Hollande, président de la France, le maître-mot, lors de cette visite officielle de Mehdi Jomâa et de ses troupes sera le soutien à la Tunisie. Au-delà des promesses, des projets annoncés et non encore réalisés, des déclarations officielles et de celles officieuses prononcées entre deux petits-fours à l’ambassade de Tunisie, la France et les Français dépasseront-ils le discours affectif pour aller vers un soutien effectif chiffrable ?
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