La surprise a été fuitée puis annoncée, hier au lendemain du 23 novembre électoral. Dans les deux camps gagnants et face à cette surprise, chacun a opté pour une interprétation de l’annonce de l’ISIE à venir comme une avance inattendue pour son candidat. Les estimations données par les instituts de sondages allaient donc être revues à la baisse ou à la hausse, cela dépend de la lecture et de celui qui la fait.
On jubile du côté des CPR et de ses amis. On est moins euphoriques du côté des partisans de Nidaa. Les résultats préliminaires de l’ISIE confirment la tendance, le classement et la poursuite de la sélection dans le cadre d’un 2ème tour. Ils révéleront cependant, selon ce qu’ont avancé certains dirigeants de l’Instance électorale, que cela se joue à moins de 10% d’écart, entre les deux adversaires. L’écart entre BCE et Marzouki est d’environ 6 points, saura-t-on plus tard.
Pareil résultat ne révélera pas que Moncef Marzouki est plus soutenu qu’il ne semblait être, mais prouvera que l’autre camp ne s’était pas réellement mobilisé autour du candidat de Nidaa. Il implique aussi que l’on doit réfléchir à la manière de récupérer l’électorat des autres candidats à la présidentielle, les charmer, les convaincre et les gagner dans son camp, pas dans la totalité évidemment, mais en partie, à coup sûr.
« Nous ne nous adressons pas à un troupeau, pour les diriger là où on voudrait qu’ils avancent », a déclaré hier un dirigeant du Front populaire sur un plateau télévisé. Certains autres candidats à la présidentielle ont, eux, exprimé explicitement leur soutien à BCE. Mais eux, ne sont pas le Front, cette force politique qui a fait, lors des législatives, le poids et qui pourrait désormais être un contrepoids important. Contrepoids, il y en a qui accepteront probablement de l’être pour l’un et l’autre rival à la conquête de Carthage. Mais contrepoids, accepte-t-on de l’être pour quelle contrepartie ?
Les parties pouvant être intéressées par une relation gagnant-gagnant, ne sont pas celles qui pourraient faire gagner grand-chose pour BCE comme pour Marzouki. Ceux qui pourraient changer la donne, c’est le clan de Slim Riahi, ou celui du Front populaire. Parmi l’électorat du candidat de l’UPL, le nombre de personnes ayant eu vent de son programme politique et en ayant été convaincus ne doit pas être très important. On vote Slim Riahi pour Slim Riahi, pas pour ses beaux yeux mais pour les moyens qu’il met pour charmer ceux pouvant l’être. Dans cet électorat, il y aura à grignoter probablement, mais à grignoter par un candidat du deuxième tour comme par l’autre, car loin des idées, ce sont d’autres facteurs qui rentreront en pareil jeu.
Quant à la conquête des électeurs du Front populaire, cela est moins gagné. Outre les personnes nouvellement conquises par le romantisme et le charisme de Hamma Hammami et qui ont fait de lui le troisième gagnant de la présidentielle, il y a une autre frange d’électeurs moins facile à convaincre. Ces Jabhistes endurcis, le sont, par le passé de leur fraction politique, par sa relation avec le pouvoir en place, par les pertes humaines qu’il a connues en les personnes de Chokri Belaïd, de Mohamed Brahmi et de Mohamed Belmufti. Ils le sont par une pensée politique et une vision économique loin d’être celle de Moncef Marzouki ou de Béji Caïd Essebsi. Même un appel au vote en faveur d’un candidat ou d’un autre de la part d’un de leurs leaders, ne pourrait convaincre un Jabhiste convaincu de donner sa voix à l’un ou l’autre candidat au second tour.
Quant aux abstentionnistes, la marge d’entre eux à convaincre est limitée. Une restriction procédurale mise en place par l’ISIE empêche, en effet ceux qui n’étaient pas intéressés par la politique au moment des inscriptions pour les élections ne peuvent plus changer d’avis et être récupérés par un candidat ou par un autre.
Face à pareille situation, face à la faiblesse récente et provoquée de certaines parties politiques et de leur pouvoir d’influence, face à de nouveaux concurrents soit un peu trop monnayables soit un peu trop convaincus, la stratégie doit, incontestablement, être autre. S’il y a conquête d’un électorat nouveau, elle se jouera parmi les récalcitrants à la chose politique, ces abstentionnistes en nombre qui se sont inscrits sur les listes électorales, mais qui n’ont pas voté pour une quelconque raison. Il faut désormais travailler son discours de manière à attirer, vers soi, ces milliers de Tunisiens. Il faut trouver un vecteur pour leur parler et un support adéquat pouvant les atteindre et les toucher. Il faudra ramener du nouveau dans les discours télévisés et retravailler argumentaires et contre-argumentaires de manière à être le plus percutant, c’est là le nerf de la guerre !
Peu après la fermeture des centres de vote et l’annonce de la tendance électorale par trois instituts de sondage tunisiens, Moncef Marzouki a appelé, sur twitter, Béji Caïd Essebsi à un duel télévisé. Une demande à l’allure chevaleresque et presque moyenâgeuse en superficialité, mais une confrontation moderne et en application dans d’autres démocraties (nous le sommes désormais !). Un face à face sur écran pourrait révéler aux yeux de l’électeur-spectateur les défaillances d’un candidat, la force de la réflexion de l’autre. Cela pourrait être un moyen pour les plus sceptiques de se faire une idée et de faire un choix. Mais l’écart entre les deux candidats étant plutôt faible, pareille confrontation pourrait avoir des répercussions désastreuses, vue autrement. Un talent d’orateur altéré par une campagne présidentielle éprouvante, une nervosité pouvant être provoquée par une réplique mal venue mais bien réfléchie, un oubli, un argumentaire peu travaillé et une anticipation difficile à prévoir et c’est quelques « unités » pour cent de perdues ! Trop risqué !
Face à un écart assez serré, aucun des deux candidats ne pourra avancer confortablement vers le second tour. Le parcours vers cette date non encore fixée sera houleux pour Marzouki comme pour BCE car chacun, par camps interposés, en déballera des casseroles pour l’autre! Chacun prêchera, en revanche, des conquis et ne fera que dépenser son énergie pour un effort ne pouvant pas être rentable en termes d’électeurs. Réconfortés dans leurs pensées révolutionnistes d’un côté et nationalistes bourguibistes de l’autre, les pro-Marzouki et les pro-BCE ne sont pas à charmer ni à « détourner ». C’est ailleurs qu’il faudra regarder, pour être vu, à travers le bon prisme, par ceux que la politique ne regarde pas !
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