Ils nous appellent « ce grand peuple », ils nous présentent comme un pays exemplaire, ils voient en nous un précurseur en matière de démocratie, ils se disent nos amis et pourtant, ils ne nous connaissent pas ou préfèrent garder de nous l’idée qu’ils ont déjà.
En ces temps d’élections, de transition politique dans le cadre de la transition démocratique, nombreux sont ceux qui prennent la Tunisie pour un champ de démonstration d’idées. Des journalistes, des prédicateurs, des intellectuels se déchaînent, souvent virtuellement, et commentent l’exemple tunisien. Que la Tunisie devienne un cas d’école en matière de démocratie ne peut que nous ravir. Cependant, le hic est que l’analyse politique produite et proposée manque souvent de profondeur. Elle est, dans bien des cas, tendancieuse. L’étiquette qu’on nous colle est, dans la plupart des cas, fausse. Le regard qu’on pose sur nous est, en majorité, réducteur.
En cette veille de campagne pour la présidentielle, ce qui a marqué les esprits et accaparé l’attention, à la fin de la semaine écoulée, aura été la venue en Tunisie de Bernard-Henri Lévy, ce philosophe français à la « production intellectuelle » un peu trop politisée et à la réflexion politique un peu trop incursive.
Par ailleurs, ce qui a marqué le début de la semaine, c’est une vidéo de Wajdi Ghonim insultant les Tunisiens et leurs démocrates. Une vidéo commentée par l’ambassadeur d’Egypte qui a appelé la société civile tunisienne à attaquer en justice son compatriote controversé.
A suivi un texte du journaliste d’Al Jazeera tentant d’influencer le vote des Tunisiens pour la présidentielle. Et le tout avait été précédé d’un documentaire diffusé sur la même chaîne qatarie qui proposait de nouveaux coupables du meurtre de Chokri Belaïd. Ces détectives bénévoles, ces analystes volontaires, pourquoi exercent-ils leur gymnastique de neurones oisives en nous prenant pour support ? D’un autre côté, pourquoi devenons-nous sceptiques quant aux analyses nous parvenant de part et d’autres et surtout d’outre nos frontières ?
Pour celui qui voudrait chercher des bribes de réponses, il faudra se pencher sur l’ensemble de l’œuvre de ces médias qui voient de nous plus que nous n’en savons nous-mêmes et qui pourtant ne nous montrent qu’à travers un prisme bien choisi. Le combat de la Tunisie pour la démocratie, on le réduira, à escient, en combat à valeur quasi théologique, l’exemple de la querelle idéologique et identitaire on l’illustrera par l’exemple d’Amina l’ex Femen devenue égérie de la femme tunisienne et de son combat pour les libertés. La victoire de Nidaa Tounes on la présentera comme un retour des caciques de Ben Ali par rapport aux islamistes et à leurs acolytes, présentés, eux, comme les révolutionnaires.
De l’autre côté, vers le Golfe précisément, on nous montre comme ces effrontés affrontant même le religieux dans sa version politique intouchable. On nous présente comme un peuple tiraillé entre le laïc qui est en nous et le musulman qui nous veut du bien. On s’immisce dans nos choix, on empiète sur le travail de nos institutions gouvernementales et on rouvre des dossiers non pas pour nous aider à trouver des solutions mais pour nous ramener d’autres problèmes. Du premier bord comme du deuxième, nous viendront des leçons et nous reviendront de mauvaises images de nous-mêmes. Des pseudo-enquêtes menées, des enquêtes exclusives diffusées, des tribunes ouvertes à un clan et des commentaires que l’on bloque dès lors qu’un son de cloche dérangeant parvient.
Ces pays que nous connaissons bien, trop bien des fois ne nous connaissent-ils pas ou s’acharnent-ils à ne pas nous connaître ? Le regard de l’étranger n’a-t-il pas été, d’avant nos changements politiques relativement récents, étranger à nos vraies problématiques ? Rares étaient, en effet, les voix (médiatiques, politiques et intellectuelles) qui se sont haussées quand le peuple tunisien luttait pour un brin de liberté. Les voix que l’on entend donc désormais, profiteraient-elles d’une faiblesse dans le système ? L’Etat et sa représentativité ne font-ils donc plus reculer les mauvaises langues, les mauvaises plumes, et les « mauvais esprits » ? Peut-être devient-on « poreux » pour certains médias, quand notre président est contributeur d’un journal en ligne. N’est-ce pas une porte ouverte à l’ingérence indirecte, à l’intérêt orienté, aux visites occultes ? Que la Tunisie devienne, par sa position de pionnière en matière de révolution, un champ de réflexion, un objet d’analyse et un espace de débat pourrait être salutaire. Cependant, un « open sky » sans tour de contrôle augmente le risque de crash. Heureusement qu’un aiguillage minimal est assuré par certaines parties pour contrecarrer les plumes malsaines, dénoncer les desseins des enquêtes incursives et faire crasher les mauvais esprits.
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