Six jours que le premier secrétaire de l’ambassade tunisienne en Libye, Laâroussi Gantassi, est kidnappé, 35 jours que l’agent de la même ambassade, Mohamed Ben Cheikh, l’est aussi. Sur la toile et côté citoyens internautes, il y a eu plus d’engouement pour le décès de l’écrivain colombien Gabriel Garcia Marquez que pour le sort des deux Tunisiens aux mains de ravisseurs, à ce moment-là, inconnus. C’est qu’en apparence, l’intérêt de la blogosphère tunisienne semble porter davantage sur la littérature, sur l’écrit et ceux qui s’y sont illustrés. Une déduction qui s’avère fausse à voir la réaction du même network à la mort, un jour après, de Habib Boulaâres, écrivain de qualité dans une Tunisie visiblement très sélective.
Qu’importe ! L’intérêt posthume des Tunisiens ne rendra pas au pays ses créateurs décédés et ne saura rendre à la littérature tunisienne une gloire qu’elle a toujours peiné à avoir, même sur le plan local. L’intérêt aux Tunisiens kidnappés est, en revanche, susceptible de les ramener vivants car la mobilisation populaire peut, dans de tels cas, fonctionner comme un moyen de pression sur les ravisseurs. Oui, l’intérêt des Tunisiens s’est porté, depuis la nuit du dimanche 20 avril, sur le dossier des kidnappés, mais la manière était biaisée et pervertie. La vidéo, diffusée par les ravisseurs sur la toile a fait le buzz en Tunisie. Mais un buzz imprégné de voyeurisme et d’inconscience.
Ce qui était escompté par la diffusion de ladite vidéo a été atteint. Le partage a dû permettre de faire parvenir le message au président tunisien Moncef Marzouki, supplié par le kidnappé Mohamed Ben Cheikh, d’agir pour sa libération. Peut-être voulait-on qu’une pression populaire s’exerce sur le président, à travers des Tunisiens qui seraient touchés par les larmes du père de famille kidnappé ? C’était sans compter sur la mémoire courte du tunisien dont l’engouement n’a duré que le temps d’un partage sur Facebook. C’était sans compter sur un Moncef Marzouki habitué, désormais à la pression, aux larmes, aux supplications, aux morts et aux funérailles.
Peut-être pouvait-on compter sur notre diplomatie ? Certes celle-ci a été frappée de plein fouet par les déboires de son chef par le passé, Rafik Abdessalem, gendre du leader islamiste Rached Ghannouchi. Mais l’arrivée d’un Mongi Hamdi à sa tête récemment avait rassuré l’opinion publique, comme cela a été le cas pour d’autres ministères passés aux commandes des technocrates. C’était sans compter sur un savoir-faire, visiblement, en déperdition. « Diplomatie », un terme chargé de sens, connotant à la fois la noblesse d’un corps de métier et l’habileté dans la gestion des affaires difficiles. Le kidnapping de deux Tunisiens travaillant dans une représentation diplomatique tunisienne est une affaire difficile.
L’affaire est difficile, puisque la Libye notre voisine géographiquement, connaît depuis sa révolution un hiatus alarmant entre ses structures gouvernementales nouvellement mises en place et les milices et autres groupuscules y ayant proliféré. Les relations tuniso-libyennes sont sur un plan officiel calmes et maîtrisées. Officieusement, le terrorisme les a entachées. On évoque, à ce jour, la détention de deux libyens potentiellement impliqués dans les incidents d’Errouheya. Celle-ci serait la raison pour laquelle les ravisseurs ont opté pour le rapt des deux Tunisiens, comme moyen de réclamer la libération des leurs. Ils avaient donc, dans un premier temps, kidnappé Mohamed Ben Cheikh, qui s’est avéré être non pas un diplomate, mais un employé local au sein de l’ambassade tunisienne en Libye. Ils auraient, alors, selon des sources diplomatiques, décidé d’agir d’une manière plus virulente et donc plus remarquée, en ciblant le premier secrétaire de la même ambassade.
La Tunisie n’a pas été la seule à pâtir de tels agissements. Le meurtre de l’ambassadeur américain sur les territoires libyens, lynché par une foule en furie, en septembre 2012, est encore vif dans les pensées, tant ses retombées en termes stratégiques, ont été grandes. Il a été déterminant dans la politique libyenne et la politique des Etats-Unis vis-à-vis de celle-ci. L’ambassadeur de Jordanie avait à son tour été kidnappé, le 15 avril, soit quelques jours avant Laâroussi Gantassi. Le chef de la diplomatie jordanienne aurait été, selon Reuters, enlevé en réaction à l’emprisonnement à vie d’un libyen du nom de Mohamed Saïd Al-Doursi, condamné pour avoir tenté de faire exploser l’aéroport de Amman en 2004. Le 14 avril, c’est une employée locale de sécurité à l’ambassade des Etats-Unis à Tripoli qu’on a tenté de kidnapper. Celle-ci a pu échapper à ses ravisseurs, peu de temps après. En janvier, cinq diplomates égyptiens en fonction en Libye ont été détenus pendant deux jours par une milice libyenne dont le chef a été arrêté en Egypte.
C’est visiblement ainsi que se gèrent, désormais, les litiges libyens, depuis que le chaos a empreint la gestion du pays et de ses relations extérieures. Suite à la démission du premier ministre libyen Abdullah Al Thinni, la Libye avait annoncé, le 16 avril, que des mesures allaient être prises pour que soit renforcée la sécurité des diplomates étrangers en poste en Libye. Mais, la Tunisie, qu’avait-elle fait pour protéger les siens ? Pourquoi l’ambassadeur n’avait-il pas pris ses dispositions pour protéger ses employés ? Des sources diplomatiques nous informent que cela fait un moment que l’ambassadeur tunisien en Libye disait avoir la situation en main, à chaque fois que, de son ministère de tutelle, on lui posait la question quant aux risques encourus par les agents de notre représentation en Libye. Selon des sources diplomatiques, 12 agents de sécurité dépendant du ministère de l’Intérieur travaillent à l’ambassade tunisienne en Libye pour assurer la protection du personnel. Ces 12 agents ont, cependant, selon les mêmes sources, été affectés à des tâches administratives. La défaillance de l’ambassadeur de Tunisie en Libye est pointée du doigt. Son éventuel attachement au parti islamiste Ennahdha, l’est aussi. Le nom de Ridha Boukadi est en effet, parmi la liste des ambassadeurs au background partisan dont on voudrait se séparer.
La diplomatie tunisienne est un des secteurs qui ont été affectés par les nominations partisanes, les remous qu’elles ont suscités auprès de l’opinion publique et l’impression négative données aux pays étrangers quant à de telles pratiques. En témoignent, au vu de l’avancement des choses et de la gestion du premier cas de kidnapping puis du deuxième, le degré zéro de communication pratiquée et la gestion de crise adoptée par notre ministère des Affaires étrangères. De la part dudit ministère, les déclarations se suivent et se ressemblent. Dévoilant en partie l’avancement des négociations et la nature qu’elles prennent, on y annonce ouvertement que la Tunisie n’acceptera pas de chantage, elle sera, cependant, ô combien favorable à des changements, à plus d’un niveau !
Pensées aux Tunisiens malmenés de par le monde, sans soutien aucun ou presque.
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