Cinquante neuf ans que la Tunisie fête la Femme, tous les 13-août. Plus de cinq décennies qu’on célèbre la Tunisienne, qu’on lui rend hommage, en ce jour férié, ainsi qu’à Bourguiba, son mentor et à Haddad, son libérateur.
Un jour où on se vante du Code du Statut personnel tunisien, des avancées réalisées par la femme dans différents domaines professionnels, de son talent, de son génie, de son exceptionnalité… Un jour où on rappelle que l’Histoire moderne de la Tunisie repose sur les femmes comme l’a été l’Histoire de la Tunisie, depuis Elyssa, la reine Didon, B’chira Ben M’rad, Taouhida Bencheikh et toutes ces anonymes qui combattent, à s’oublier elles-mêmes, pour leur pays et pour les leurs, au quotidien. Le 13 août est aussi le jour des surenchères et des superlatifs, dans un pays où la femme a tout conquis mais n’a pas encore tout acquis.
Dans cette Tunisie remplie de paradoxes, la femme est, le temps d’une journée, un fonds de commerce très prisé. Ce sont ceux qui dénigrent la femme au moyen des réflexions les plus machistes qui s’afficheront parmi ses plus fervents admirateurs. Ceux qui sont capables des pires violences à son encontre puiseront, en cette occasion, leur capital sympathie. Sur fond politique, on profitera de la femme pour se dire bourguibiste, progressiste, féministe, moderniste. Pour se dire dans l’air du temps, celui de la récupération politico-idéologique.
Seules les femmes tunisiennes conscientes du chemin qui reste à parcourir savent que cette commémoration est passée de mode. Elle servait politiquement à un Ben Ali qui a fait de la femme une des égéries de son système. Elle ne devrait désormais servir qu’à rappeler que beaucoup reste à faire, hormis les festivités de surface. En tant que femme tunisienne et en cas de mariage avec un étranger, je ne peux faire de mes enfants des Tunisiens qu’après un marathon et des kilos de paperasse. En tant que femme tunisienne je ne peux voyager avec mes enfants qu’avec une autorisation de leur père. En tant que femme tunisienne, je ne peux même pas renouveler les passeports de mes enfants, sans une autorisation ou un accord du tribunal.
Toutefois, le problème de la femme tunisienne n’est pas seulement avec le législateur mais aussi avec la société, les autres, la rue, la famille, le couple… La Tunisienne reste harcelée au quotidien. Objet de fantasmes et lieu de cristallisation des pires complexes, elle est celle qu’on honnit au volant, qu’on dérange dans les rues, qu’on stigmatise pour son apparence, qu’on catalogue pour ses idées, celle qu’on violente, qu’on viole et qu’on fête deux jours par an.
La femme tunisienne n’est pas unique mais multiple. Un hiatus sépare celles qui se pensent emblématiques et celles qui ne se voient pas représentées. Les favorisées et les défavorisées d’un système matriarcal et machiste à la fois. Car, en Tunisie, la femme est influente certes au sein de son propre noyau, mais elle n’est pas toujours l’égale de l’homme. Elle travaille et gagne sa vie mais reste exploitée au sein de son propre cercle. Dans certains milieux ruraux, elle est dépossédée de ce qu’elle gagne, au profit de l’homme de la famille. Obligée d’interrompre ses études pour servir de gagne-pain à des frères frappés de fainéantise. Vendue au plus offrant pour servir d’aide-ménagère pour d’autres femmes plus fortunées qu’elle.
Oui, « Femme tunisienne » est un statut compliqué. Quand bien même elle est la fierté parmi les pays voisins, elle n’en demeure pas moins la proie facile pour nombre d’étrangers en visites très spéciales en Tunisie. Cette Tunisie où la prostitution est banalisée et où dans les quartiers modernes, c’est désormais l’homme qui est ouvertement abordé pour des fins sexuelles et mercantiles. La femme est aussi un corps qu’on s’achète, qu’on exploite et qu’on vend. Sans qu’aucune législation ne s’en inquiète, d’un point de vue autre que moral. A plusieurs reprises des filles ont été jetées des balcons après avoir assouvi les pires fantasmes de Libyens de passage. A plusieurs reprises elles ont été obligées de céder aux avances les moins valorisantes pour survivre et faire vivre les leurs. Victimes premières de la crise économique et de celle des valeurs qui frappent un pays en pleine déconstruction, les Tunisiennes, ce n’est pas un 13 août qui les résume.
Ce n’est pas non plus un vol de Tunisair avec un équipage exclusivement féminin, ni les statuts florissant sur les réseaux sociaux. La femme se célèbre tous les jours et se respecte indéfiniment. Ce qui est occasionnel, ostentatoire et récupération n’est que pure stigmatisation pour elle. La Tunisienne ne peut être l’objet d’un honneur occasionnel mais doit enfin être l’égal de l’homme qui la dénigre, la harcèle et s’érige en roi quoique n’ayant pas de fête pour lui. Les derniers événements politiques l’ont prouvé, la souffrance régulière de femmes le prouve, leur persévérance en matière de droits mais aussi d’exercice des devoirs le prouveront : la Tunisienne est le pilier de la Tunisie, elle est son origine et ne pourra être que son avenir.
Bonne fête à toutes !
Consulter la source