Campagne oblige, les politiciens, en l’occurrence les candidats à la présidentielle, leurs équipes et leurs laudateurs s’évertuent à la recherche d’une identité accrocheuse susceptible de leur apporter l’intérêt des électeurs potentiels. La campagne se basant sur l’image a aussi, pour support, le verbe. Des mots sont ainsi utilisés comme accroches. Détournés de leurs sens premiers et reprenant vie dans un contexte différent, ils servent à appâter ceux auxquels le marketing politique de base s’adresse. Ci-dessous une liste, non exhaustive, des mots que nos politiciens ambitieux nous destinent.
Taghaouel : Pouvait-on passer outre ce mot dont usent et abusent les dirigeants d’hier, désormais opposants aujourd’hui ? Le terme arabe désignant l’omnipotence est utilisé pour faire peur essentiellement aux citoyens qui pourraient voter pour Nidaa Tounes, parti vainqueur lors des législatives. Outrageusement péjoratif, taghaouel connote la monstruosité sémantique première, faisant, du parti, de ses adeptes et de son chef, des ogres menaçant la démocratie. Taghaouel, Moncef Marzouki l’a utilisé, à plusieurs reprises lors d’un de ses premiers discours de campagne, puis le mot a été utilisé par de nombreux politiciens issus de partis que les électeurs ont écartés lors du dernier vote. Quand bien même cela serait vrai, l’utilisation à profusion de ce mot chargé en images commence à jouer le rôle inverse de celui recherché. Se substituant à la notion de vote utile développée lors des législatives, taghaouel devenu contre-slogan est le signe de la reconnaissance de l’Autre comme une force menaçante et de la limite de son propre pouvoir de persuasion. Original tout de même, mais original un temps, devient très vite hors mode !
Taghout : Quand les premiers salafistes, pullulant depuis quelques années en Tunisie, ont utilisé ce terme, il a fallu lui trouver une définition en adéquation avec le contexte « moderne » (relativement moderne, je vous le concède) dans lequel nous évoluons. Taghout, c’est ainsi que les extrémistes religieux qualifient les forces de l’ordre. Politiciens, militaires, cadres et agents sécuritaires sont perçus comme des oppresseurs mécréants. Jusque-là, rien de transcendant ! Sauf que mot que l’on croyait réservé aux acolytes de Abou Iyadh a repris vie dans la bouche de Moncef Marzouki. Dans un discours prononcé hier à Msaken, celui-ci a fait un fâcheux raccourci, puisant dans le jargon salafiste, la superposition entre Nidaa et le RCD et la transformation des deux en… ( tenez-vous bien !) « Taghout ». Le candidat Moncef Marzouki semble omettre qu’il est aussi président de la République. Charmer l’électorat islamiste, est une stratégie que la pratique de la politique comme moyen d’arriver à ses fins pourrait admettre. Cela dépasse l’entendement quand celui-ci est le chef suprême des armées et qu’il est, de ce fait, le garant du prestige de ses troupes contre les atteintes physiques comme verbales. De l’ennemi je ferai ma muse et pourquoi pas mon ami ! Charmante, l’inspiration!
Thawra : Le mot semble être oublié. Ses valeurs aussi. Depuis la mise en place de gouvernements postrévolutionnaires, dignité et vérité, même institutionnalisés, demeurent au stade de notions. Le chômage continue à battre son plein, dans nos régions reculées comme dans nos villes, et la pauvreté, s’accentuant, rend l’écart, entre nos classes sociales, de plus en plus flagrant. Et pourtant, nos politiciens candidats ont redonné vie à la révolution et à tous les termes qui en découlent pour y puiser un semblant d’électorat. On semble, en revanche oublier un détail de taille : le terme est usité et vidé de sens. Il fait partie de cette langue de bois tintant dans les oreilles de ceux qui l’entendent. La révolution spontanée n’a pas besoin de défenseurs. Ceux qui se sont proclamés comme ses défenseurs se sont avérés être des voyous nuisant à la république, à ses symboles et à ses valeurs. La langue de bois est l’apanage des langues de vipères qui s’ignorent !
Zaweli : Le mot désigne ceux qui sont frappés par un fléau chronique : la pauvreté ! Difficile d’en sortir, mais facile de l’attraper. Cette classe des plus démunies devient soudainement, en période de campagne électorale, la chouchoute des politiciens. Ceux qu’ils voient, en temps normal, passer dans des cortèges de véhicules blindés tombent soudainement en amour devant leur pauvreté profonde, sont atteints d’un attendrissement ostentatoire face à leurs situations difficiles. Eux qui ne les voient habituellement que dans un écran dans les JT, deviennent l’égérie de ces candidats à la présidentielle. Des égéries, à la recherche desquelles on part en vadrouille, à la rencontre desquelles on va au fin fond des campagnes, chez qui on s’invite et qu’on serre en accolades hypocrites et, de surcroît, perçues comme telles. « Froid aux yeux », un politicien ne connait évidemment pas ça !
Tawafok : Désignant consensus, le dérivé a été utilisé dans toutes ses variantes comme moyen potentiel de contrer la potentielle hégémonie du parti vainqueur aux législatives. L’entente devient donc une arme pour attaquer son adversaire et en perd de sa noblesse unificatrice. A ceux qui avaient essayé d’être un contrepoids quant à la Troïka au pouvoir, on rappelait qu’ils ne représentaient que trop peu les Tunisiens et on les qualifiaient, par le passé de « 0, ». Ces partis « vaincus » devenus à leur tour « 0, », voire 0 tout court, essaient désormais de se réunir autour d’une idée commune, celle d’être une opposition forte face à un choix électoral difficile à admettre. Se reconvertir n’est visiblement pas chose aisée, pour un opposant qui a goûté au pouvoir !
Bon courage à nous autres électeurs ! Nous sommes la cible favorite de 27 « Tontons flingueurs », par le verbe, 27 tireurs d’élites ayant déjà raté le coche, des tireurs d’élites populistes qui disent ne nous vouloir que du bien. Mon œil !
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