C’est la rentrée. Enfants, parents et politiciens connaissent aujourd’hui l’effervescence du premier jour après le répit estival. Même ceux non concernés ne pouvaient pas passer à côté de l’événement automnal. Le flux de voitures sur les routes et les désagréments qui en découlent rappellent qu’aujourd’hui n’est pas une journée ordinaire. Un seul citoyen n’aura pas remarqué le foisonnement dans nos rues et la pression au propre comme au figuré dans nos transports. C’est le ministre des Transports.
Monsieur le ministre n’était pourtant pas à bord de sa grosse berline mais d’un bus public. Le bus jaune comme on l’appelle ici. Celui qui habituellement a des allures de tour de pise tant il est rempli sans harmonie. Mahmoud Ben Romdhane a donc pris le fameux bus ce matin et s’y est pris en photo par son équipe communication qui n’a pas manqué de publier l’information du jour. Un ministre des Transports dans les transports. Sacré événement ! L’événement est tel que le bus en question semble avoir été privatisé pour l’occasion. Pourquoi ? Pour qui ? Il n’y a même plus de touristes parmi nous. Et le positif n’intéresse pas les médias étrangers qui n’apprécient de nous que les déboires. Pour nous ? Nous savons tous pourtant l’état de la flotte et la nature du service. Nous connaissons la moiteur de l’ambiance des transports publics, l’incivisme des usagers et leur déshumanisation par celui qui est censé leur proposer un service.
En ce jour de rentrée, nous avons préféré maquiller la façade. C’est plus positif en effet une réalité embellie. Un autre a fait sa rentrée ce matin : Habib Essid, chef du gouvernement. Lui, on l’a vu en photo dans des écoles publiques. Il a posé en toute spontanéité dans une salle de classe modèle. A en oublier les salles dont les plafonds croulent et les murs ruissellent dès le milieu de l’année. Les clichés sont beaux et c’est l’essentiel. « Qui n’a pas pleuré le jour de la rentrée », voici sa phrase-accroche du jour. Limpide et percutant. Ca résonnera longtemps dans nos esprits. Monsieur Essid peut se reposer jusqu’à la prochaine sortie. Son équipe com’ aussi.
Oublié l’incident de la mère aveuglée partiellement par un surveillant général à la veille de la rentrée et le fait que celui-ci ait encore été à son poste après que le ministre de l’Education ait avancé le contraire. Oubliés les gosses marchant des kilomètres pour atteindre l’école de village, l’état de beaucoup d’établissements, la difficulté financière que représente la rentrée scolaire pour certaines familles et les grèves pesant sur le corps enseignant comme une maladie latente.
Le téléthon est passé par là. Cette grosse campagne com’ et mendicité organisée au profit des écoles publiques a permis de rassembler moins d’un million de dinars de dons. Pas mal mais pas assez. Les Tunisiens sont de moins en moins dupes par rapport à l’état de délabrement et de décrépitude que connaissent les régions les plus démunies. L’Etat ne cache plus son incapacité à tout gérer. C’est mieux que de leurrer. Mais la frontière est très infime entre être conscient de ses limites et le fait de les afficher comme une tare susceptible de rapporter. A Néji Jalloul la misère scolaire rapporte. Elle fait gagner en sympathie et fait faire des miracles en terme de communication. Le ministre en question en est devenu un des plus populaires.
Nous savons pourtant tous que l’école publique attire de moins en moins. Le privé l’a suppléé en terme de réponse aux exigences des parents et des enfants et ce pour les classes moyennes. Celles plus aisées affluent chaque année par milliers vers les écoles internationales et celles étrangères. De moins en moins d’enfants français dans les écoles françaises. Presque plus d’enfants américains dans l’école américaine. Peu d’Anglais à l’école britannique et peu ou pas de canadiens à l’école canadienne. Que des Tunisiens ou presque qui ont débuté, quinze jours avant la majorité des petits tunisiens, leur année scolaire et qui ne connaitront pas le vent qui souffle en plein hiver dans les salles de classe, le pénible bras de fer syndicat ministère et le gavage du système scolaire tunisien.
Mais l’image est tellement belle qu’on a envie d’y croire. La réalité maquillée est plus belle à voir. La misère cachée est plus supportable et un politicien bon est un bon communicateur (lui-même ou par « procuration »). La rentrée du gouvernement est belle et en mouvement. Des décisions structurelles sur le plan économique sont en marche. La réconciliation grâce au jusqu’auboutisme de l’opposition ne pose plus problème. L’opposition elle-même ne posera plus problème. La communication officielle fait des miracles. Et des miracles ça fait mieux rêver que le salut est possible. Alors comme ils font dans la comédie pour nous duper, faisons mine d’y croire. Bonne rentrée à tous !
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