Quoique réalisé dans un contexte temporel loin d’être propice aux polémiques (les mois d’été où l’attention générale est ailleurs), le changement au sein du gouvernement ne passe pas sans critiques.
Le paysage politique nouveau qui attend la Tunisie, à la rentrée, est généré par une crise économique et des indicateurs au rouge, il n’en est, toutefois, pas moins responsable, actuellement, d’une crise politique parmi les partis au pouvoir. Il n’est pas non plus exempté d’une crise interne voire inter-partis, au vu de sa composition partisane à l’assemblage improbable.
Acte 1: Crise économique oblige!
Lorsque le 2 juin, Béji Caïd Essebsi avait émis l’idée de remplacer le gouvernement Essid par un gouvernement d’Union nationale, c’est l’argument économique qui avait été essentiellement mis en avant.
Le président de la République avait alors insisté, lors de rencontres officieuses qu’il a eues avec des journalistes tunisiens qu’il avait reproché à Habib Essid de s’être senti visé, d’avoir évoqué dans les médias l’idée d’une démission, alors que la proposition présidentielle ne concernait que la composition gouvernementale et non celui qui en est à la tête.
Depuis, Essid n’est plus que chef de gouvernement des affaires courantes. Youssef Chahed, un proche (politiquement) de BCE a été choisi pour former un nouveau gouvernement et, avant même le passage par la case ARP pour valider ou non son choix de composition, les tensions se font sentir.
A croire que nous nous dirigeons vers une autre crise; une crise autre, non pas économique, mais, cette fois, politique.
Acte 2: Crise politique au sein du pouvoir
Le gouvernement tel qu’annoncé par Youssef Chahed, samedi 20 août, est loin de faire l’unanimité et les raisons sont multiples. En relation avec le quota de chaque partie, avec les profils de certains ministres et secrétaires d’Etat, avec l’absence de concertations préalables à l’annonce, avec l’éviction de certains anciens ministres… Les insatisfaits sont nombreux et ils se font, depuis samedi, entendre. Youssef Chahed devra-t-il revoir sa copie? Rien n’est exclu.
Toutefois, engendré par une réaction à la crise économique que connait le pays, le changement qui s’amorce a créé une crise nouvelle. Elle concerne les quatre partis au pouvoir. Afek Tounes et l’UPL ayant annoncé ouvertement leur mécontentement quant au process mis en place dans le cadre du choix des ministres et Ennahdha ayant indiqué avoir des réserves quant à certains profils, mais avec le choix d’une démarche plus discrète pour le faire savoir.
Exit la stabilité parmi les partis au pouvoir. Le conflit est aujourd’hui public et le choix d’écarter indirectement deux partis ayant gagné leur emplacement politique par les urnes est certainement stratégique. Du nouveau dans l’air, frictions et effritement de la répartition des forces à l’ordre des jours à venir. Le pouvoir n’a plus quatre têtes. Il en aura deux et une pluralité de petits mains.
Acte 3: Et si la crise atteignait le prochain gouvernement?
Al Massar, le bloc démocrate, Al Joumhouri, l’UGTT et quelques indépendants ont pu être choisis pour quelques portefeuilles. Ces parties devront cohabiter au sein d’un même gouvernement avec d’autres avec qui les animosités sur fonds politiques et idéologiques sont connues de tous.
La difficulté de construire un gouvernement commun, d’assurer une unité dans le cadre d’un gouvernement dit « d’UNION nationale » est à envisager. L’efficacité pour laquelle tout ce changement aura été amorcé est, de ce fait, à craindre. A craindre aussi une crise au sein du pouvoir tel que conçu dans sa probable prochaine version.
Nous n’en serons que plus loin des visées du changement enclenché par Béji Caïd Essebsi. Des parties foncièrement différentes peuvent-elles faire corps et travailler pour un but commun?
Pourvu que cela se passe sans grands conflits internes.
Epilogue sibyllin
Tout ce qui aura changé au final après cet été politiquement tumultueux, ce sont les poids désormais rapetissés de certains partis ayant fait le poids aux dernières élections et de certains porte-voix de l’opposition politique tunisienne.
Les voix dissidentes auparavant aux partis au pouvoir en feront dorénavant partie. Les Mehdi Ben Gharbia, Samir Taïeb, Iyed Dahmani ou encore la centrale syndicale sont dans la composition présentée par Youssef Chahed. Une consécration personnelle pour ces figures politiques certes, mais une certaine perte du côté de l’opposition; encore une!
Ces hommes politiques pouvant jouer un rôle de contre-poids dans l’étape politique à venir manqueront à l’appel, un peu comme manquent les voix d’autres figures ayant rejoint la sphère du pouvoir après une vie de militantisme.
Que ces reconversions et changements puissent être utiles pour le pays, c’est tout ce que l’on peut espérer.
Les raisons économiques invoquées au début de ces changements sont au vu de la distribution des portefeuilles amenées à être encore d’actualité dans la période qui vient. L’aspect partisan l’ayant emporté sur les profils choisis pour leur compétence. Au vu du choix fait, l’on pourrait croire que ce gouvernement vise à se préserver des potentielles critiques et non à en attaquer les possibles raisons. En attendant, nous sommes donc encore loin des raisons ayant motivé ce changement de pré-rentrée.
« En politique, le choix est rarement entre le bien et le mal, mais entre le pire et le moindre mal« , avait écrit Nicolas Machiavel. En cela, nous sommes bien « en politique ».
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