La nouvelle a été rendue publique, lundi 31 août. Business News ainsi que Akher Khaber et Hakaek Online sont la cible d’une menace provenant de la branche médiatique de Ansar Chariâa. Un tweet dans ce sens avait été mis en ligne par ceux qui assurent la communication de l’aile maghrébine d’Al Qaïda. Sur la toile et dans les médias autres que ceux concernés, RAS. On s’émeut encore devant la photo d’une souris trouvées dans une bouteille d’huile chez un épicier de quartier.
Des politiciens menacés. Nous avons connu ça. Des politiciens assassinés aussi. Des menaces contre des secteurs vitaux, nous avons connu ça. Des frappes contre des symboles de ces secteurs vitaux aussi. Nous avons connu en Tunisie, les mines, les bombes, les balles, les coups de kalach… Nous sommes désormais habitués, imperturbables, blasés. Une menace envers trois médias, ça nous frôle à peine.
La blogosphère tunisienne était, hier encore, et quoique le ministère de l’Intérieur ait pris au sérieux ladite menace, obnubilé par du plus léger. Elle était plus orientée vers ce que l’Algérien Kamel Daoud désigne, dans sa dernière chronique dans Le Point, par « le fait futile ». Fait futile, ce qui remplace le fait divers, en attention à l’accueil et qui dépasse la vraie information, en intérêt aux yeux des lecteurs. Tout ce qui n’est pas fait futile n’intéresse que trop peu. Tout ce qui n’est pas assez grave ne mobilise pas l’intérêt général. La foule veut du sensationnel. Un accident de la route ayant fait des morts intéresse plus ; pas aux yeux de celui qui reçoit l’information seulement, mais même aux yeux de celui qui la crée.
Lundi 31 août, des journalistes ne sont pas morts. Mais une menace sérieuse les a visés. A Akher Khaber, Hakaek Online ou à Business News, on ne cèdera pas à la menace et l’effet qu’elle voudrait produire. Toutefois, le fait est grave. Grâce à l’anonymat que procure le monde virtuel, les terroristes continuent à terroriser, du moins à l’essayer. Annoncer leurs plans, c’est leur manière de défier le système en marge duquel ils se sont mis et de narguer la sécurité nationale et ses défenseurs. Leurs menaces et leurs actions ont développé, toutefois, une témérité inconnue chez le Tunisien.
Qu’il y ait frappe récente ou menace persistante, on continue à vivre en se disant prêt à mourir. La cause ne vaut pas le coup, mais d’autres sont passés par là. Mourir pour son pays, pour prôner sa liberté et braver ceux qui le veulent aliéné et faible, quoi de mieux ? Ici, on n’a pas peur. C’est excellent ! Ici, on s’habitue au pire. Quoi de plus désolant ! L’opinion publique ne bouge que pour le plus futile ou pour le plus tragique. Ce qui est entre les deux, est de moindre intérêt. Bénéfique et dangereux, à la fois.
Pourtant, lorsque les terroristes avaient, auparavant, menacé, rien ne les a empêchés d’aller jusqu’au bout de leurs plans. Des journalistes ont été la cible d’assassinats, dans d’autres pays comme l’Algérie par le passé ou la France, plus récemment. En Tunisie, nombreux sont les journalistes « bénéficiant » d’une garde rapprochée. Surveillés de près car pouvant être la cible de ceux qui ont décidé de terroriser le pays pour mieux se l’accaparer.
Ce sont ceux dont le discours dérange qui sont la proie potentielle. Ceux qui ont attaqué l’IVD, me disait une personne hier. Ceux qui s’affichent anti-islamistes. Ceux qui se disent modernistes. Ceux qui n’aiment pas les « Marzoukistes » et le disent. Les motivations sont multiples et les étiquettes, dans ce pays qui se divise de plus en plus aussi. « Nous sommes deux Tunisies », avais-je écrit dans une chronique, par le passé. Nous sommes trois Tunisie, réellement. Une moderniste, une réactionnaire et une virtuelle. La première regarde l’avenir et tente de quitter une réalité aussi pathétique qu’engluante. La deuxième a déjà fait son bond vers l’arrière au niveau des idées et tente de tirer par la force ceux réfractaires à son « élan réactionnaire ». La dernière regarde le tout béate, prête à s’indigner pour la première futilité, à plonger dans l’alarmisme au premier fait-divers et à banaliser ce qui, hier encore, l’aurait terrorisée longtemps. La superficialité est ce luxe qu’en Tunisie on a décidé de s’offrir, depuis que la sécurité de tous et de quelques-uns est régulièrement menacée.
« Quiconque a sondé le fond des choses devine sans peine quelle sagesse il y a à rester superficiel. C’est l’instinct de conservation qui apprend à être hâtif, léger et faux », avait écrit Nietzsche. Il devait avoir un ami Tunisien !
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