Les Tunisiens ont longtemps pâti de la manipulation. Sur le plan politique, ceci s’est traduit par des régimes politiques plus décevants les uns que les autres, les engagements pré-électifs s’étant, en effet, révélé être des attrape-nigauds. Sur un plan tout autre, récemment, la manipulation a continué, menant dans ses sillages, des Tunisiens à la ruine.
Les événements que vivent les Tunisiens sont plus explicites que les saynètes de Joules et Beauvois dans Petit Traité de manipulation des honnêtes gens(1), un best seller qui a institué pour une meilleure prise de conscience quant à la manipulation et ses différentes techniques.
Ben Ali ou la manipulation par la parole :
Utilisée comme moyen d’amadouer les plus sceptiques, la parole a souvent été pernicieusement utilisée dans les discours politiques d’avant la révolution (mais aussi après). Recourant à un discours volontairement emphatique, le régime politique de Ben Ali a réussi à faire taire toute entreprise de rébellion chez la masse populaire. Car contredire la parole suprême en laquelle consistait la voix de l’Etat revenait à s’y opposer.
Le régime post bourguibien avait présenté des promesses de changements. Cependant son discours pompeux, le narcissisme dont il s’est empreint ont mené les Tunisiens à se rendre à l’évidence : ils ont été manipulés.
Ayant pu asseoir son emprise sur tout un peuple et sur une opinion internationale de plus en plus regardante sur les affaires tunisiennes, le régime de Ben Ali a continué sa manipulation au moyen d’une parole répressive, voire dissuasive. Le pays a basculé ainsi de la crédulité à la soumission ; en passant d’un discours politique persuasif à un discours répressif et menaçant.
S’est ainsi opérée «une soumission librement consentie »(2) dont nous payons encore les frais malgré le sursaut de conscience, salutaire, mais tardif qui a engendré la révolution.
Les islamistes ou la manipulation par l’apparence :
La crédulité des Tunisiens étant mise à bas, après une dure épreuve qui a duré 23 années, les nouveaux protagonistes de la scène politique ont opté pour un discours moralisateur et donc rassurant.
Amadoués par une morale qui s’affiche au moyen de barbes, de voiles et autre marque frontale de prières assidues, beaucoup ont choisi nos dirigeants d’aujourd’hui non pas pour ce qu’ils sont ou ce qu’ils se sont avéré être, mais pour ce qu’ils semblaient être.
Certains ont été fascinés par cette nouvelle forme dé régénérescence de l’islamisme, la croyant salutaire, d’autres ont voué un culte aux nouvelles figures d’une politique qu’ils croyaient plus « propre », plus honnête et quasi sacrée. Manipulés et continuant à l’être, nombreux sont les Tunisiens qui ont développé une attitude de soumission s’apparentant à la sujétion au profit d’un régime politique qui les a utilisés pour réaliser des fins qui ne sont probablement pas les leurs.
Les paradoxes constatés un an après ont mené certains à réaliser qu’ils ont été manipulés. L’injustice continue à plusieurs niveaux y compris au niveau social, la pauvreté sévit de plus belle, l’avidité du pouvoir a l’air d’avoir fait de nouveaux émules et la culture du profit connaît des jours florissants.
Trompés par les promesses électorales et la morale ostentatoire des élus islamistes, nombreux sont les électeurs qui n’ont de cesse de défendre le parti au pouvoir et d’imputer à l’opposition tous les maux dont souffre la Tunisie depuis l’avènement d’une « ère nouvelle », une attitude semblable à plus d’un égard à celle qu’avaient les défenseurs de Ben Ali qui ont été manipulés au point d’en devenir eux-mêmes les proclamateurs zélés de celui-même qui les opprime.
Ceux-ci se sont désaliénés de la soumission mentale. D’autres auront-ils un jour cette intelligence-là ?
« Nous sommes plus manipulés et déterminés par les faits, les événements et les pouvoirs que nous ne sommes capables de prendre en main notre destin et celui de la société » Jacques Le Goff.
1-Le Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens est un essai de psychologie sociale de Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois paru en 1987 et réédité en 2002 aux Presses universitaires de Grenoble.
Vendu à deux cent cinquante mille exemplaires au 15 janvier 2008, et à trois cent mille exemplaires au 15 août 2012, cet ouvrage est un best-seller dans sa discipline
2-La soumission consentie est un concept de psychologie sociale (Compliance without pressure) introduit par Freedman et Fraser en 1966 pour décrire la conséquence d’un procédé de persuasion qui conduit à donner l’impression aux individus concernés qu’ils sont les auteurs de certaines décisions.
Consulter la source