En cette soirée de vote pour les législatives, ça baigne dans le flou total et, pourtant, certains partis affichent un moral de vainqueurs. Les taux d’affluence annoncés par l’ISIE invitent à l’optimisme, si on met de côté la part de chacun dans le pourcentage des votants. Près de 60% des inscrits ont accompli leur devoir national. Environ 30% des citoyens tunisiens en âge de voter sont partis aux urnes affirmer leurs choix pour les années à venir. Ces choix sont-ils à l’image des derniers sondages? Les prochaines heures nous le confirmeront.
Ennahdha comme Nidaa, partis donnés pour les grands rivaux de ces élections ont organisé, à une demi heure d’intervalle, des conférences de presse dans lesquelles a été affiché l’optimiste de l’un et l’autre bord. Acte punissable par la loi selon l’ISIE que celui d’afficher ainsi sa joie révélatrice d’une certaine tendance avant que les choses ne soient définitivement et officiellement scellées. Bluff, penseront certains observateurs avisés.
Quoique l’article 70 du code électoral interdise la publication de tout sondage le jour du silence électoral et ce jusqu’à la fermeture du dernier bureau de vote, deux chaînes de télévision bien suivies ont diffusé deux sondages établis à la sortie des urnes. Aucun des politiciens présents sur les plateaux ne réagira quant à cet écart par rapport à la règle. Ils réagiront, cependant, par rapport à des chiffres qui leur sont favorables, selon leurs propres estimations.
Plus tard dans la soirée, Sigma Conseil diffusera sur Al Hiwar Ettounsi ses premiers sondages représentatifs de la tendance nationale ne comptabilisant pas les résultats des Tunisiens votant à l’étranger : Nidaa serait donné pour gagnant avec 81 sièges (37%), arrive derrière le parti de Rached Ghannouchi, Ennahdha avec 58 sièges (26%), le Front populaire vient ensuite avec 16 sièges (5,4%), l’UPL avec 13 (4,8%) et Afek avec 8 (2,8%). Sur la Wataniya, la même tendance se confirme avec un sondage 3C avec 37,7% pour Nidaa, 22,6% pour Ennahdha, 12% pour l’UPL, 7% pour le Front populaire et 5,7% pour les partis destouriens.
Le top 5 des partis en tête des sondages est ainsi dévoilé. Sont révélés aussi les partis arrivant en queue de peloton comme Ettakattol, le CPR, alliés d’Ennahdha à la Troïka. Un renversement de la tendance par rapport à 2011, révélateur de l’insatisfaction des Tunisiens par rapport au rendement des partis qu’ils avaient propulsés au pouvoir.
Le schéma politique connaîtra, si on se tient à ces chiffres anticipatoires, une scène politique avec une tendance majoritaire en totale rupture avec les premières élections d’après-révolution. Cette tendance nouvelle se crée au moyen d’un parti qualifié de « miracle », créé en 2012 et s’imposant comme un catalyseur rassemblant plusieurs bords unis autour d’une vision dite moderniste par opposition à celle d’Ennahdha. Certains analystes verront en cette montée de Nidaa Tounes une régression de l’islamisme politique qui pourrait être mise en relation avec un contexte géopolitique qui tend vers un changement visant à écarter les islamistes de la sphère du pouvoir.
Un parti se remarque parmi les partis historiques et les autres forts par leurs composantes variées : l’UPL, parti de Slim Riahi occupant les premières places. Ce parti qu’on qualifie d’électoral en a écarté d’autres avec une base idéologique à l’ancrage bien affirmé. Des partis comme Al Massar reconverti en UPT pour les besoins de ces élections, Al Joumhouri ou encore Afek se verront ainsi en arrière-plan ou totalement absents de l’image qui se profile du paysage politique tunisien.
Les sondages rendus publics, en début de soirée en ce 26 octobre, ont été réalisés à la sortie des urnes. Voulus comme représentatifs du vote des Tunisiens au moyen d’un échantillon d’environ 5.000 personnes, ces sondages ont provoqué une effervescence parmi les Tunisiens et, dans certains quartiers, des klaxons de joie se feront entendre. Ces chiffres ont, paradoxalement, provoqué le courroux de certaines parties ne croyant pas en ces données qui anticipent les résultats.
Les quartiers généraux des partis où se sont rassemblés les dirigeants et les membres actifs vivent ce soir au rythme des résultats de sondage et des premiers retours des bureaux de vote après dépouillement.
Présent au QG de l’UPT, Samir Taïeb déplorera le poids de l’argent sur ce scrutin. Des moyens marquant une disparité importante entre les différents partis, rendant difficile la survie de certains ou plus visible le peu d’effort des autres. Au QG de l’UPL, on est optimiste quant aux résultats, plus optimistes que les sondages plaçant ce parti en tête d’affiche. « Nous estimons que notre vraie place est la deuxième dans le cadre de ces législatives », déclarera un dirigeant de l’UPL, parti du controversé Slim Riahi. Au QG de Nidaa Tounes, Taïeb Baccouche avancera que son parti, donné pour premier des sondages, serait bien loin devant le parti islamiste, plus loin que ce qu’indiquent le sondage SIGMA, selon les chiffres qui leur sont parvenus. « Un écart avec Ennahdha avoisinant les 40%, selon la tendance actuelle », déclarera le leader de Nidaa. Ces chiffres sont aussi contestés par Ali Laârayedh qui avancera que son parti est gagnant sur près de 700 bureaux et mettra en doute la fiabilité de ces sondages. C’est aussi le cas de Imed Daïmi dirigeant du parti présidentiel CPR et de Tarak Kahlaoui se voyant en meilleures positions que celles où les placent les sondages.
Nombreux sont donc les partis croyant en leurs chances de gagner un maximum de sièges. Croyant fort en leur potentielle victoire, mettant en doute les sondages ou les relativisant en leur propre faveur. Nombreux seront, à coup sûr, les partis qui crieront à la fraude électorale et au vu du nombre de défaillances constatées dans le travail de l’ISIE, celle-ci se place d’ores et déjà en position de faiblesse. Cependant, seuls les résultats finaux qu’annoncera celle-ci pourront nous confirmer la réelle tendance et le bord vers lequel ira la Tunisie, durant les cinq prochaines années. Pouvoir et opposition sont en train de changer. Les forces politiques d’hier ne seront, probablement, pas celles de demain !
Crédit photo : Hassan Ammar/AP/SIPA
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