Les élections législatives ont eu lieu il y a deux jours et nous sommes encore à mi-chemin, entre les pronostics scientifiques (sondages rendus publics par SIGMA et 3C le soir du 26 octobre 2014) et des résultats définitifs. Cependant, la victoire de Nidaa ne relève plus de la spéculation, comme ne l’est pas également la défaite de partis connus, écartés du pouvoir par les urnes. Al Joumhouri, Al Massar, l’Alliance démocratique, représentent ces formations politiques démocratiques que la démocratie même a battues. Décryptage d’une défaite annoncée.
La politique tunisienne, pour qui veut l’analyser, est à l’image des Tunisiens, de leurs psychologies de peuple qui se cherche, de leurs attentes insatisfaites par d’autres, de leur mémoire d’électeurs souvent courte et aussi de leurs craintes. Celui qui a compris ceci a tout compris pour passer à l’étape suivante. Celui qui se sera attaché uniquement à ses idées, à l’idéologie de son parti ou à ses propres idéaux n’ira plus loin que la simple tentative. Le récent scrutin l’a démontré.
L’UPT (Union pour la Tunisie), voulue comme moyen de ralliement des tendances démocratiques a engendré la perte du parti Al Massar. Ce parti à l’ancrage historique certain a, en effet, pâti, lors des dernières élections, de ses propres choix. Son changement de noms l’ayant fait passer d’Attajdid à Al Massar et d’Al Massar à l’UPT a été un moyen de dispersion pour un électorat ayant soutenu ce parti et ses représentants en nombre lors des élections de 2011.
A cela s’ajoute le « vote utile », notion brandie par Nidaa et ses acolytes afin de s’attirer les électeurs appréhendant la victoire de l’islamiste pour les cinq années à venir. Après avoir participé à la mise en place de l’UPT, après en être sorti, après avoir fait le choix de s’afficher pour les législatives avec son propre nom et son propre logo, Nidaa Tounes, comme nombre de ses partisans, a appelé au vote utile. Cela a réduit le débat politique et l’enjeu électoral à une rivalité entre la Tunisie moderne et la Tunisie islamiste. Le modernisme de Nidaa aura utilisé l’image de Bourguiba, figure de proue de l’ouverture sociale, pour asseoir son image de sauveur. Il aura su aussi adresser au Tunisien hésitant encore un message fort et approprié par rapport à ses attentes. Cet électorat frileux a, probablement, été récupéré dans la base électorale de partis ayant le progressisme en commun avec Nidaa Tounes, parti créé en 2012.
La défaite des partis démocrates tunisiens n’est pas le fruit d’une sanction. En majorité, les Tunisiens sont satisfaits du rendement d’un Samir Taïeb, d’une Maya Jeribi ou d’un Mohamed Hamdi. Loin d’eux donc l’idée de les sanctionner au moyen d’une voix de moins dans l’urne. Ceux-là comme beaucoup d’autres auront été battus pour n’avoir pas usé des règles du jeu appropriés et de la communication appropriée qui n’est pas à adapter à l’électeur dans l’absolu mais à l’électeur à l’instant T. Beaucoup sont donc passés à côté de la victoire pour avoir fait les mauvais choix ou pour avoir pâti des bons choix des autres. C’est le jeu politique, diront certains observateurs !
Dans le camp des perdants se situent aussi Al Joumhouri, parti historique, et l’Alliance démocratique, parti jeune, qui ont une cible électorale similaire. Hormis leurs bases militantes, peu de citoyens ont opté pour ces deux partis. Leur poids a, probablement, été faussé à leur propres yeux par la présence médiatique et par les sorties publiques de leurs dirigeants. Les deux ont en commun une restructuration à faire, dans les prochains jours, une révision de leurs dirigeants et une adaptation de leurs messages. Cela n’est possible qu’au moyen d’une proximité réelle avec ces électeurs perdus qu’il faudra de nouveau reconquérir pour se maintenir sur la place et se préparer aux scrutins à venir. Le leader d’Al Joumhouri et celui de l’Alliance démocratique ont choisi de se présenter à l’élection présidentielle qui se joue en novembre prochain. Ils sauront ainsi mesurer l’écart, si écart il y a, entre la popularité du parti et celle plus ciblée de leurs personnes.
Par ailleurs, la défaite du camp démocratique, on ne l’inflige pas uniquement à la ruse de Nidaa, au vote utile, à la dispersion de l’identité ou à la nature des dirigeants. Faute de moyens conséquents, ces partis n’ont pas fait dans l’ostentatoire (meetings et autres outils de propagande) comme démonstration de force. Ils avaient misé, à tort, sur une base électorale qui s’est avérée être fortement versatile, attirée par le premier cri de sirènes.
Leur défaite on l’attache donc, en partie, à l’argent politique. Ainsi, l’arrivée, sur la scène politique, d’un certain UPL, parti présidé par le controversé Slim Riahi, est selon de nombreux analystes et dirigeants politiques, le signe du poids de l’argent sur le scrutin. Que ce parti, récemment créé, puisse réussir là où des partis historiques ont échoué est un signe de défaite encore plus grave. Cette montée de l’UPL est, en effet, importante pour la période à venir, celle où vont se préparer les alliances susceptibles de mettre en place la majorité au sein du parlement et du pouvoir décisionnel qui en découle. L’UPL et Nidaa Tounes ou l’UPL et Ennahdha ? La réponse viendra dans les jours à venir. Ce parti d’un genre nouveau rappelle dans sa montée celle d’un autre parti aussi insolite que lui, en l’occurrence Tayyar Al Mahabba, d’un Hachmi Hamdi qui n’aura jamais foulé le sol tunisien et qui aura dirigé, via Skype, des élus de la Nation appartenant à sa mouvance.
A cause d’écarts dans la manière de faire la politique et d’écarts dans les moyens pour en faire, des partis politiques et des personnalités nationales méritantes ne nous représenteront pas à l’Assemblée nationale en constitution. En revanche, nous serons représentés par d’autres, que, dans bien des cas, nous ne connaissons même pas. Espérons que ceux qui ont brandi le vote utile comme solution binaire pour un schéma politique bien plus complexe, aient choisi les bons candidats. Ceux-là seront dans les jours qui viennent nos porte-voix, pourvu donc qu’ils nous soient vraiment utiles.
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