Moez Sinaoui a déclaré concernant la relation tuniso-libyenne que « la géographie définit la diplomatie ». Cette assertion a été répétée à deux reprises par le porte-parole de la présidence de la République, lors d’une intervention radio. Monsieur Com’ nous envoie un message limpide : point d’idéalisme en politique extérieure. Les temps sont durs et l’époque de la diplomatie d’apparat est révolue. Le contexte politique libyen et celui tunisien par dérivation (et non pas contagion, nous l’espérons), ont, de facto, imposé à notre diplomatie de se retrousser les manches et d’être mise à l’épreuve.
La diplomatie géographique, telle que la présente M. Sinaoui, est cette nécessité de reconnaitre et de coopérer avec les deux parties se disputant l’autorité en Libye. Le but étant de préserver la Tunisie et les Tunisiens, l’attitude consensuelle se définit comme un compromis qui s’impose. La délicatesse étant que le compromis ne se transforme pas en compromission.
La Tunisie avait rouvert l’antenne diplomatique en Libye, après avoir ordonné le retour de l’ambassadeur tunisien. Elle se dirigeait vers un rétablissement des vols reliant les deux pays, après qu’ils aient été suspendus. Elle avait accepté de coopérer avec les deux parties tenant, chacune de son côté, l’autorité en Libye. Mais elle a arrêté, récemment, un chef de milice à l’aéroport Tunis-Carthage. L’acte en apparence légitime serait perçu comme un sacrilège suprême et la vengeance ne se serait pas fait attendre : des Tunisiens, par dizaines, seront mis entre les mains de Fajr Libya pour monnayer la libération de leur chef. Le ministère des Affaires étrangères tunisien déclarera aujourd’hui que les autorités libyennes avaient arrêté les Tunisiens en question suite à un simple contrôle d’identité. Quoiqu’il en soit, avec la Libye, le bras de fer et la démonstration de force ne datent pas de la semaine dernière.
Deux diplomates kidnappés, 2 journalistes enlevés puis 172 Tunisiens pris en otage (le chiffre demeure à prouver et les raisons aussi), le voisin libyen ne nous veut pas que du bien. Dualité au pouvoir oblige ! Face à pareille bipolarité politique oscillant entre discours officiel lisse à souhait et agissements de bandits, la diplomatie tunisienne peine à trouver l’issue à une crise transcendante mettant en péril la Tunisie et les Tunisiens, contrairement à ce que visait la « consensualité ».
Les adeptes de la critique politiquement dirigée y verront la faiblesse de notre diplomatie, l’absence d’autorité de nos dirigeants et la mise à mort du prestige tunisien garant de la sécurité de tout citoyen comme du territoire national. Le pragmatisme se détachant de la volonté de casser l’adversaire politique quitte à dénigrer son propre pays impose, quant à lui, une autre piste de réflexion, plus réaliste et non moins déplorable : Car elle nous expose aux risques, la géographie nous impose des limites ! La situation tunisienne, sa sécurité chancelante et sa politique trébuchant encore, nous font accepter ces limites. Le mal que nous avons à accepter l’image de nous-mêmes qui s’en dégage nous pousse, quant à lui, à renier la délicatesse de la situation et à dénigrer celui qui devient l’incarnation de notre faiblesse, à défaut d’être celle de notre prestige. « Dépasser les limites n’est pas un moindre défaut que de rester en deçà », répliquerait Confucius.
Et nous avons beau rester en deçà, la foudre libyenne nous atteint, nous touche, nous éclabousse. Elle ne prend pas uniquement la forme d’enlèvements de Tunisiens mais aussi de propos visant l’Etat tunisien et son chef actuel. C’est le pseudo dieu de la com’ libyen qui entamera les rafales verbales, dès mars 2015. Le président de l’Instance libyenne de la Culture et de l’Information (du gouvernement de Tobrouk), Omar Gouiri, avait alors annoncé que la Libye reconnaissait « l’Emirat du mont Châambi » et les islamistes qui y sont retranchés. Il écrira, samedi dernier, que le président de la République tunisien sera brûlé par les Libyens et déclarera, hier, que les forces égyptiennes, saoudiennes et Emiraties devront intervenir en Tunisie.
Du côté libyen, on dira que les propos de Gouiri ne concernent que lui. Du côté tunisien, on dira que celui-ci ne représente rien, hormis un politicien irresponsable. Face à un épiphénomène, la meilleure attitude à prendre est celle qui ne fera pas de lui un phénomène, en reprenant ses propos et en réagissant officiellement. Oui, sauf que cela n’est pas du goût de tous ; y compris les CPRistes qui se positionneront pour BCE, leur rival suprême, non pas pour sa personne, non pas pour sa politique, mais pour le prestige de l’Etat qu’il incarne. Tarek Kahlaoui comme Adnène Mansar crieront au scandale quant aux propos visant le président de la république. On ne manquera toutefois pas de critiquer, au passage, la politique étrangère de la Tunisie et l’absence de réaction de la part de ses teneurs. La récupération est un art. Oui, on l’aura compris !
Kidnapping en nombre, propos indignes d’une relation entre pays limitrophes. Le voisin libyen n’est pas un voisin facile à gérer. Que peut la diplomatie classique face à des braqueurs ? Que peut la politique cordiale face à la goujaterie verbale ? L’Egypte avait rétorqué par une frappe aérienne à l’offense qui l’avait atteinte en l’exécution de ses ressortissants par des extrémistes religieux en Libye. Le Maroc et l’Algérie se sont positionnés comme partenaires de choix dans le cadre de la mission de l’ONU pour l’appui à Libye. La Tunisie n’a pas choisi ces options et ne pourra, vraisemblablement, pas le faire, faute de moyens mais aussi faute d’une politique claire. Les deux raisons combinées donnent la politique étrangère qui est la nôtre. En attendant nous continuons à payer le prix de la politique du consensus. Le Libyen n’est plus matière à blagues. Après nous avoir fait rire, il nous fait, désormais, trembler. Tâchons, au moins, de faire en sorte que cela ne se voit pas.
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