Un roi dans les rues de Tunis. Quel honneur ! Dans les rues de Tunis ? Quelle horreur ! Et s’il avait vu l’envers du décor ? A-t-on pensé à nettoyer les rues avant que le roi n’entame sa marche au centre ville de Tunis ? C’est que nous sommes en pleins chantiers démocratiques et que, pour nos gouvernants, le reste semble être accessoire. Ceux qui nous gouvernent étaient, il n’y a pas si longtemps de cela, des citoyens ordinaires. Mais ils ont été, depuis et jusqu’à très peu, barricadés dans leurs ministères et palais. Des barbelés nous empêchaient, nous autres citoyens, d’en longer même les murs, par mesure de sécurité. Un état de dégradation règne dans nos rues, tant le manque d’entretien est flagrant, tant la nonchalance s’accumule, au-delà de ce que remarquent des gouvernants préservés de la vue de ce qui nous désole.
Le roi du Maroc a fait dimanche et suite à sa visite officielle en Tunisie, une promenade au centre ville de Tunis. De nombreuses photos et vidéos de lui ont été prises à l’avenue Bourguiba et ailleurs, en compagnie de membres de sa famille et de simple citoyens tunisiens, étonnés de voir parmi eux, un roi.
Car, dans nos rues, très peu de gouvernants tunisiens s’exposent. C’est qu’on évite le peuple, peut-être. C’est qu’on s’en préserve, éventuellement. C’est qu’on préfère rencontrer ces gouvernés, par biais, et, pour cela, un écran suffit. Un écran suffit pour les connaître, mais il est sûr qu’un écran ne peut pas suffire pour la réciproque et pour que, d’eux, nous soyons plus connus.
Ce que nos dirigeants n’ont, en majorité, pas compris, le roi Mohammed VI l’a mis en application, dans un acte décalé par rapport à la norme et qui a été très apprécié par les Tunisiens, dans l’ensemble. Au-delà des aspects rattachés à la communication et au travail sur l’image, en allant au contact des Tunisiens, en ne se suffisant pas de celui de la caste politique, le roi du Maroc a fait preuve d’un acte de sympathie dont le rendu a été immédiat. Beaucoup sont tombés en admiration devant cette simplicité, paradoxalement, distinguée.
Cependant, en se promenant dans nos rues, le roi a-t-il vu l’horreur que seuls nous voyons en se baladant au centre ville de Tunis ? A-t-il vu les ordures tout au long des trottoirs ? A-t-il vu les tas de sables et autres gravats aux abords des chantiers anarchiques ? A-t-il vu l’incorrection qu’on y croise, les grossièretés qu’on y entend, a-t-il senti l’ambiance nauséabonde qui règne au détour de certaines rues?
Une déconnexion totale du faste présidentiel de Carthage. Une preuve que la simplicité ne passe pas par un nœud de cravate en moins, mais par un geste en plus. Par une attention au peuple et non par une attention que l’on porterait à sa propre image. Bien des choses changeront si nos gouvernants faisaient le pas de venir vers nous, de faire quelques pas dans ces rues que nous arpentons tous les jours et qu’ils ont cessé de parcourir, eux les cloîtrés dans leurs palais. S’ils voyaient, de près, ce que deviennent nos villes, par manque d’hygiène, s’ils voyaient la détérioration d’un capital architectural au fil des mois, des décisions seront prises ; et ces décisions seront plus en adéquation avec le quotidien.
Car les gouvernants dans leur déconnexion par rapport au peuple ne perçoivent plus que l’occasionnel. Ils sont trompés régulièrement : seules les rues faisant partie de leur parcours prévus sont concernées par des mesures visant à les maintenir en état, seuls les endroits qu’ils visitent bénéficient d’attention particulière. Pour le reste, les fontaines où l’eau ne coule plus sont remplies de déchets, les murs couverts de tags, les bacs à fleurs asséchés remplis d’ordures… Un état de décrépitude désolant contre lequel des actions citoyennes se mobilisent. Dans des initiatives donquichottesques, des jeunes luttent, balais à la main, contre la dégradation que connaissent nos villes.
Le roi a donc vu cela un certain dimanche après-midi dans les rues de Tunis. Il a donc vu que loin des cartes postales, des chansons aux senteurs de jasmin et de l’ambiance enivrante des cafés des délices, un Tunis différent existe. Celui dont les gouvernants se mettent à l’écart, obnubilés par l’art de nous séduire, une fois l’urne disposée, et de nous gouverner, sans vraiment nous connaître.
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