En guise d’intitulé pour le ministère chargé de l’enseignement nous avons opté pour un ministère de l’Education, un choix fait en ces temps où l’école assurait, outre l’aspect pédagogique de sa mission, un volet de nature différente, inhérente à la formation académique et transversale à la fois : l’éducation ! Ce temps est révolu et compte tenu du temps perdu en grèves et autres négociations, les enseignants peinent déjà à finir leurs programmes, ce pour quoi ils sont payés. Quant au volet éducation il se résume à un constat désolant fait par les enseignants eux-mêmes et répertoriant les comportements excessivement « décalés » de leurs élèves.
Après l’accord trouvé entre le ministère de l’Education et le syndicat propre à ce secteur, la centrale syndicale, à travers son porte-parole, avait déploré l’impact de pareilles tergiversations sur la relation élève/ professeur. Le syndrome grève étant passé à l’enseignement de base et à celui supérieur, la relation élève/ instituteur et étudiant/ enseignant s’en trouvera éventuellement mise à mal également.
Voir celui qui devrait être l’exemple à suivre et à vénérer marchander pour quelques avantages en prime, ne ferait que casser davantage l’aura faisant que tout précepteur soit respecté de ses disciples. Le droit à la grève est certes constitutionnalisé mais quand ce droit devient quasi obsessionnel et cesse de prendre en considération la conjoncture nationale, ce droit devient un vecteur de nuisance nationale, pour le pays, pour son économie, pour son image… Il en devient un bras de fer entre syndicat et pouvoir, un véritable bizutage pour des ministres qui viennent de prendre place à la tête de deux ministères importants car formant les générations de Tunisiens à venir.
L’agressivité des élèves envers les enseignants devient depuis quelques temps si ce n’est quelques générations, un fait divers récurrent. L’insolence est le lot quotidien d’enseignants qui en deviennent harcelés, voire violents. A chaque enseignant sa manière de réagir face à la mise à mal du respect que l’élève est censé lui devoir. Cela fait de véritables déprimés comme de véritables sadiques ; en attestent les châtiments corporels excessifs donnant des fois naissance à des handicaps à vie chez les élèves.
En somme, l’élève tunisien va mal. L’étudiant qu’il devient en grandissant, des fois sans mûrir, ne va pas mieux. Les cas de suicides parmi la population scolaire augmentent. On dira qu’ils sont plus visibles et moins tabous. L’effet boule de neige est quant à lui bien assuré par une gestion improvisée de faits divers qui deviennent phénomènes. 18 cas de suicide parmi les élèves en 2014 et probablement autant si ce n’est plus en 2015. Les chiffres sont alarmants car ce qui était un acte isolé devient un acte collectif comme l’a été une tentative de suicide à la mort-aux-rats dans un établissement de la région de Bizerte. Encore une occurrence pour se demander si nos sociologues et nos psychologues sont en train de se pencher sur le sujet pour ne pas gérer que dans l’imminence des phénomènes qui sont en train de s’installer dans la durée.
L’ancien ministre de l’Education nationale avait déclaré concernant les suicides parmi les élèves que ce n’est pas uniquement du ressort des établissements scolaires de trouver des solutions mais aussi à la société civile d’y contribuer. Peu de temps après, l’UNFPT avait dénoncé lors d’une table ronde autour de ce phénomène que la rupture entre ledit ministère et elle est consommée. Elle a déploré l’absence d’aide socio-psychologique aux enfants suite à la suspension de l’accord liant l’union au ministère de l’Education. La balle aussitôt lancée est renvoyée !
C’est pourtant au sein de l’école et en la marge de liberté que celle-ci leur procure que des élèves s’initient aux vices les plus ravageurs. 4094 enfants ont été jugés pour délits d’agression contre les biens d’autrui et 3339 pour délits d’agression contre des personnes physiques, selon les statistiques du ministère de la Justice. Nos enfants sont à encadrer ! 50% des élèves tunisiens ont consommé au moins une fois de la drogue, selon d’autres études. Nos élèves sont à encadrer !
Qu’en est-il du rôle de l’enseignant dans cette guerre contre la déliquescence qui frappe parmi les jeunes ? Il n’en est rien ! Nos enseignants, les premiers à subir ce travers de leur métier en perdent le goût de la passion. Les élèves sentant ce hiatus en perdent le goût de la passion. Plaisir d’apprendre et plaisir de faire apprendre deviennent dès lors un luxe, un luxe qu’on réclame, qu’on monnaye avec une contrepartie pouvant faire oublier, avec quelques dinars en plus, la pénibilité d’un métier qui se vide de plus en plus de son sens premier et celui annexe.
Les enseignants ont cependant un syndicat fort qui continue régulièrement à faire les démonstrations de force susceptibles de lui maintenir une place de privilège dans le paysage politique tunisien au point de narguer les Tunisiens eux-mêmes. « Allez boire l’eau de mer » avait argué un dirigeant syndical à l’adresse de ceux à qui l’accord avec le ministère de l’Education avait déplu. Il est vrai que ces parents dépités sont impuissants face à pareilles réflexions. Et tant qu’aucune force de contrepoids visant à défendre les élèves et leurs parents ne naîtra, c’est l’Etat qui se battra seul pour ses propres avantages et très accessoirement pour ceux des élèves qui en dépendent.
En attendant que les équilibres s’installent pour préserver les jeunes tunisiens, pour réfléchir d’une manière structurée à leur éducation, à leur épanouissement, aux bibliothèques qu’il faudrait créer, aux centres de loisirs, aux maisons de jeunes, aux terrains de football, dans les villages les plus reculés et dans les villes ; en attendant que soit abattue l’oisiveté générant tant de vices, que l’enseignant soit tellement imbibé de la passion de son métier et tellement moins imbibé de ses propres comptes de fin de mois difficiles, en attendant tout cela, l’Etat se suffira de dénombrer les analphabètes et les enseignants n’ayant pas de formations adéquates. 18.8% pour la première catégorie et 48% d’éducateurs pour jeunes enfants pour la deuxième catégorie, selon des chiffres rendus publics aujourd’hui même. Pas étonnant que le malaise des jeunes ait des allures aussi perfides, quand on sait qu’il prend naissance dès les premières années d’apprentissage. Inconscience quand tu nous tiens !
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