Se tient en cette fin de semaine, le 3ème Congrès du Syndicat national des Journalistes tunisiens. Un événement qui se déroulera sur deux jours, en l’occurrence les 19 et 20 avril 2014, et lors duquel sera élu le nouveau bureau exécutif du SNJT. L’orientation que prendra son instance syndicale représentative est déterminante pour l’image d’un secteur à la fois critiqué et vénéré et qui vit, comme tant d’autres, une véritable mutation. Les chiffres l’attestent, le journalisme en Tunisie s’oriente vers la qualité. Des outils de régulation ont été mis en place afin d’accompagner ce secteur au rendement perfectible. Objectif sur un secteur sensible, à la veille d’un événement qui marquera le corps de métier pendant trois ans.
Le journalisme en chiffres :
Bien que souvent malmené par ceux qui ont tenté de mettre dessus mainmise, le journalisme connaît, depuis quelques années, une évolution certaine. Celle-ci se mesure en chiffres et se laisse évaluer par l’impact acquis par ce secteur depuis les grands événements politiques qui ont marqué le pays. Le journalisme en Tunisie, à l’image d’un schéma social prônant la parité homme-femme, compte 52% de femmes journalistes. Il est aussi un secteur dont les acteurs sont à 65% âgés de moins de quarante ans.
En 2005, 80% des journalistes avaient un niveau bac+2. Dans une volonté, parfois contestée, d’aller davantage vers la qualité en embauchant des diplômés universitaires, le SNJT avait en 2008, mis en place un critère selon lequel n’est considéré comme journaliste qu’un titulaire d’une maîtrise. C’est une des raisons qui font qu’en 2011, seuls 3% des journalistes n’ont pas le Bac et plus de 80 % sont titulaires d’une maîtrise voire plus. De ce fait, 97 % des détenteurs de la carte de presse sont des maîtrisards.
Parmi les journalistes affiliés au SNJT, seulement 5% exercent dans la presse électronique, un secteur pourtant en expansion. Certains dirigeants syndicaux expliquent cela par le fait que bien que le nombre de sites d’information soit en augmentation constante, le nombre de ceux exerçant d’une manière légale et dans le respect des salariés et des structures normatives les protégeant, est peu conséquent. En revanche, 75% de ces affiliés au SNJT sont des journalistes qui exercent dans le secteur public, travaillant dans des structures telles que la TAP, les radios et télévisions nationales et des journaux comme La Presse ou encore Essahafa. Par ailleurs, 85% des journalistes affiliés au syndicat des journalistes bénéficient d’une couverture sociale, 60% d’entre eux gagnent plus de 900 dinars et 4% travaillent pour un salaire inférieur à 300 dinars. Constatés en 2011, ces pourcentages ont, en majorité, été actualisés en 2013, lors de la mise en place du bureau exécutif actuel et qui cèdera sa place officiellement d’ici le début de la semaine prochaine.
Un secteur mis à mal :
Le journalisme en Tunisie cherche sa place tout en poursuivant son rendement dans une ambiance politique qui a souvent tenté de le marginaliser, de mettre en doute son apport et ses méthodes et de dénigrer certaines de ses compétences, dans des visées politiques et idéologiques. De nombreux cas de violence contres les journalistes ont été constatés, durant les dernières années, des actions en justice ont été intentées contre certains d’entre eux, ciblant souvent ceux qui sont les plus virulents contre le système politique en place à l’époque. Une pression certaine avait été exercée contre le secteur et ses acteurs et certains journalistes disposent, encore à ce jour, de protection rapprochée mise en place par le ministère de l’Intérieur qui a évalué, donc, que leur vie est mise en péril.
Le journalisme en Tunisie pâtit de guerres intestines et d’une chasse aux sorcières qui ralentit l’évolution de ce secteur où certains ont été instrumentalisés politiquement par le passé. Le « révolutionnisme », régnant sur un plan vaste en cette période politique charnière, connaît des répercussions sur le domaine journalistique. Certains y sont ainsi adeptes d’un mouvement de table rase visant à écarter ceux qui, selon eux, ont collaboré avec l’ancien régime. D’autres sont plus favorables à l’instauration d’une harmonie visant à réaliser l’unité d’un secteur qui ne peut être fort que dans le respect régnant entre ses différentes composantes.
C’est une des raisons pour lesquelles Néji Bghouri, ancien président du SNJT et candidat pour la présidence dans le cadre des élections imminentes, a opté pour l’appellation significative « L’Union de la profession » pour sa liste électorale. « Afin d’être fort et d’avoir l’impact que requiert la conjoncture par laquelle nous passons, le secteur et sa représentation syndicale, d’une manière particulière, doivent être unis et solidaires », a précisé celui-ci. Un impératif que rappelle aussi Saïda Hammami, en tête de la liste « Pour le service et la dignité des journalistes ».
La dernière période d’exercice du bureau partant du syndicat des journalistes a, en effet, été marquée par des querelles étalées publiquement ou via les réseaux. Elles visaient des journalistes, des médias et des structures représentatives autres. « Le SNJT ne peut travailler en s’isolant des autres structures représentatives dont l’UGTT, le syndicat des Dirigeants des Médias et la Fédération tunisienne des Directeurs de Journaux. Sans pour autant renoncer à nos droits, nous avons besoin de travailler en coordination avec ces structures», précise Néji Bghouri. Celui-ci rappelle, en guise d’exemple, les deux grèves générales ayant marqué le secteur et qui n’ont pu être réussies que grâce à l’accord des chefs d’entreprise, selon lui. Un consensus est donc à trouver entre les différentes structures syndicales actives dans le secteur journalistique, y compris celles patronales, afin de dépasser le climat conflictuel actuel régnant entre certaines structures représentatives.
Vers le perfectionnement de la profession :
Quatrième pouvoir dans une scène locale où le pouvoir se dispute désormais entre les différents protagonistes y travaillant, le journalisme, comme d’autres corps de métier, est en train de réaliser certains changements importants. Parmi eux, la régulation, un moyen en cours d’application servant à garantir un respect de la déontologie et des normes professionnelles. Ainsi, peu après la révolution et dès les premiers jours du gouvernement Ghannouchi, avait été consulté un certain nombre de journalistes pour la mise en place des travaux de l’Instance Nationale pour la Réforme de l’Information et de la Communication (INRIC). Un organe provisoire qui visait à effectuer une analyse du secteur et à tenter de trouver des solutions à ses lacunes. C’est en effet, l’INRIC qui a contribué à mettre la pierre angulaire au projet de régulation de plus grande envergure qu’est la Haute Autorité indépendante pour la Communication audiovisuelle (HAICA), à travers son travail sur l’article 116. « Nous avions lors de la consultation qui avait été faite, exprimé notre refus de soumettre le secteur à un organe gouvernemental ministériel car le journalisme est un pouvoir à part entière qui n’a pas besoin de passer par le pouvoir exécutif pour se concrétiser », précise Néji Bghouri qui était aussi ancien membre de l’INRIC. L’instance indépendante, malgré les nombreuses réserves exprimées à son égard et les critiques qui ont visé son mode d’action, demeure une réalisation importante pour le secteur médiatique. Toutes réserves mises à part, la HAICA est en marche de réguler le secteur. La difficulté qu’elle rencontre est due au fait que nous manquons d’expérience dans la régulation, précisent certains observateurs.
Le secteur journalistique a, dans bien des cas, épousé les différentes mouvances politiques, voire idéologiques qui marquent le pays. C’est ainsi qu’aux organes de presse de propagande d’avant la révolution ont succédé d’autres, souvent perçus comme le vecteur d’un message politique, idéologique ou partisan. Une diversité perçue comme parasitant un secteur qui se reconsolide, par certains, et comme un signe salutaire, par d’autres. « Le syndicat des journalistes se doit de représenter tous ceux qui travaillent dans le respect des règles, quelles que soient leurs lignes d’action et leur ancrage idéologique », précise Néji Bghouri. Pour Saïda Hammami, en tête de la liste concurrente, il est primordial d’aider le journaliste à retrouver l’unification de son domaine d’activité et à mettre en place une structure syndicale apte à défendre ses droits, qu’il travaille dans le secteur public ou privé, qu’il soit journaliste photographe ou journaliste correspondant.
« Nous agissons dans un domaine délicat et nous façonnons l’opinion publique. Nous devons, en l’occurrence, faire primer l’autorégulation avant de nous soumettre à la régulation », précise Néji Bghouri. Conscientes de cet impératif, certaines structures médiatiques ont mis en place un système de charte déontologique afin de sensibiliser leurs journalistes à l’importance de la qualité dans le cadre du travail dans ce secteur délicat. Le respect de certaines règles devient, dès lors, le gage d’une qualité d’information meilleure. « Cette pratique devrait se généraliser », précise Néji Bghouri qui ajoute que « l’instauration de bases de travail est primordiale car nous sommes, à titre d’exemple, confrontés à des problèmes en relation avec le domaine politique, comme la publicité politique et la propagande ».
Le secteur du journalisme est en train de se reconstruire. Tout en amenant ses différents acteurs au respect de la déontologie qui lui est propre, il doit se préserver contre les mauvaises pratiques qui pourraient entraver son fonctionnement et entacher sa relation avec le public.Des impératifs qui sont consolidés par la mise en place d’une structure représentative à l’image du poids dont dispose le secteur, une structure forte et influente. A la veille du congrès, les espoirs sont aussi importants que les projets qui attendent le nouveau bureau exécutif qui y sera élu. Bonne chance à tous nos confrères candidats !