La production télévisuelle en Tunisie peine à décoller en matière de profusion, de qualité et d’intérêt des téléspectateurs. C’est que le Tunisien est davantage orienté vers les productions étrangères devenues gages d’un dépaysement en adéquation avec ses attentes et d’une qualité à la hauteur de ce qu’il aimerait voir à l’écran. Le mois de Ramadan est cependant, cette période où l’on s’intéresse, avec assiduité, à la production tunisienne en matière de feuilletons et autres produits divertissants.
Cette année est celle où le Tunisien est d’autant plus confronté aux paradoxes inhérents à sa manière d’être : détester ce qu’il voit et ne pas arrêter de regarder, critiquer tout en continuant à consommer. Le cas se répète, tous les soirs, depuis 15 jours et se poursuivra, à coup sûr, pendant la quinzaine de soirées à venir. Le feuilleton d’Ettounsiya en est devenu l’illustration, tant l’accueil qui lui est réservé est cassant et les taux d’audiences dont il bénéficie fracassants. Le programme le plus regardé de nos chaînes ne divise pas ; il fait presque l’unanimité quant à l’appréciation de scènes jugées « over », d’un discours flirtant avec la vulgarité, de problématiques dont le traitement est mimétique jusqu’à la banalisation…
Tous les soirs le Tunisiens s’oublient, le temps d’un feuilleton devant leurs écrans. Tous les soirs, les Tunisiens se défoulent ensuite sur Facebook pour dire leur gêne, leur désapprobation, leur refus de ce produit qu’on leur fait consommer régulièrement. Pourtant un bouton les sépare, une télécommande leur permettrait de zapper, diront beaucoup. S’opposant, désormais farouchement, à la censure, réfractaire, depuis l’avènement des libertés en Tunisie, à toute forme d’autocensure, les « faiseurs d’audience » ont visiblement compris ce qu’attend inconsciemment le Tunisien : ce qu’il abhorre, ce qu’il refuse de voir et ce qu’il aimerait qu’on camoufle plutôt que de dévoiler.
L’argument qu’avancent nos commerçants de l’image, c’est que ces productions suivies et tout de même controversées ne font que représenter la réalité de notre société, celle qu’on cache souvent, celle dont on se cache habituellement, par crainte d’être offensé par sa vraie nature, par ses propres paradoxes et par ses extrêmes. Ces paradoxes sont incarnés par leurs « vrais protagonistes » dans des émissions de téléréalité ayant déjà brusqué hebdomadairement les mœurs discrètes et conservatrices. Ils sont représentés, dans des productions télévisées et dans un cadre fictionnel, par des acteurs de séries B, faiseurs de rêves, par leur apparence, pour des minettes de 13 ans.
Sans aller vers des détails aussi prosaïques qu’agaçants, vers la représentation grossière de la réalité, sans rappeler que la mimésis a sa propre noblesse de traitement, il est utile de rappeler que la liberté répond aussi à une codification. Celle conventionnelle étant, dans le contexte évoqué, volontairement mise à mal, celle réglementaire l’est d’autant plus que les règles doivent être revues et leur mise en application suivie de près.
L’alcool à l’écran, un des points ayant étonné nombre de personnes, ces derniers jours. En ce mois saint où les boissons alcoolisées cessent même de s’exhiber dans les commerces, les canettes de bière se tassent par dizaines sur nos écrans, tous les soirs, pendant de longues minutes. En France comme dans beaucoup d’autres pays, la publicité pour l’alcool est interdite. Dans ses Dispositions spécifiques aux services de télévision , le CSA précise que « toute propagande ou publicité, directe ou indirecte, en faveur de boissons alcooliques est interdite à l’antenne des services de télévision ».
Le texte indique aussi qu’« est illicite le message publicitaire faisant apparaître, même furtivement, des bouteilles d’alcool identifiées ou identifiables ».
La HAICA est-elle donc prête à agir, dans ce contexte, pour qu’il y ait enfin des règles à respecter, pour que celles-ci soient mises en application et que soit codifié un secteur qui, au nom de la liberté lui échappe ? Le téléspectateur, fidélisé par son intérêt pour les productions nationales, pourra, peut-être ainsi, par elle, être tiré vers le meilleur et non pas rabaissé vers cette réalité caricaturée qui vient de lui et qu’on lui renvoie en retour creux, vers ce pire qui ne lui est certes pas inconnu, mais dont il serait temps qu’on le détache. Notre mal est identifié, vous pouvez dorénavant passer à autre chose ; merci à ceux qui s’en mettent plein les poches tous les soirs en revenus publicitaires!