Publié dans New African
Une nouvelle fois, la Tunisie traverse une crise politique, de nature à affecter sa stabilité et à entraver les échéances électorales à venir. Les querelles entre les dirigeants de Nidâa Tounès ne font qu’envenimer la situation.
Fait rare et significatif : Le ministre tunisien de la Défense est sorti de son silence, après l’enterrement de deux militaires morts la veille suite à une attaque terroriste. Abdelkrim Zebidi a critiqué l’attitude des hommes politiques et mis en garde contre des querelles dont l’impact sera, selon ses dires, la vindicte populaire.
Béji Caïd Essebsi a lancé, au cours d’un entretien télévisé, des messages à l’adresse du chef du gouvernement, l’exhortant à aller devant le Parlement afin de solliciter sa confiance, au moyen d’un vote qui débouchera sur une confirmation de celui-ci à la Kasbah ou sur son départ. Selon le président de la République, le départ de Youssef Chahed ne fera pas de mal à la Tunisie, tout comme celui de son fils, Hafedh Caïd Essebsi, aujourd’hui à la tête d’un parti au pouvoir bien mal en point.
Les problèmes partisans gagnent l’Assemblée
Nidaa Tounès dont le chef du gouvernement est lui-même issu vit, au rythme des crises successives qui l’agitent, un affaiblissement croissant. La querelle entre son directeur exécutif, Hafedh Caïd Essebsi, et son ancien dirigeant, Youssef Chahed, semble avoir atteint son paroxysme.
En mai, lors d’une intervention télévisée, le chef du gouvernement avait critiqué le fils du président de la République l’accusant d’être à l’origine du malaise du parti et des problèmes politiques tunisiens. Depuis, les dissensions ne font que s’accentuer entre les deux hommes et la demande de limogeage de Youssef Chahed est revenue à plusieurs reprises. Le 13 septembre 2018, le comité poli- tique de Nidaa Tounès a envoyé un questionnaire à Chahed.
Avec l’affaiblissement de Nidaa Tounès, c’est bien évidemment le mouvement Ennahdha qui devient ainsi le parti dominant, à l’approche des prochaines échéances électorales.
Deux jours plus tard et faute de réponse de la part de celui-ci, la même partie décide de geler son adhésion à son parti d’origine. Parmi les questions posées à Chahed et les accusations qui lui sont lancées, sa potentielle implication dans les nom-breuses démissions enregistrées par le bloc parlementaire de Nidaa Tounès.
La rentrée parlementaire est marquée par la naissance d’une nouvelle force dépassant, en nombre, le bloc autour de Nidaa Tounès : 47 contre 39 députés. Et les démissions et probables nouvelles adhésions au bloc que l’on attribue offi – cieusement à Youssef Chahed ne feront qu’accentuer l’écart.
Ce bloc émergeant traduit la volonté qu’aurait Chahed de se maintenir en poste. Ce dernier s’est abstenu de lancer un remaniement attendu et d’asseoir, ainsi, sa légitimité remise en cause, d’une certaine manière, par les Caïd Essebsi père et fils. « À la fi n de la quatrième session parlementaire et au début de la session actuelle, il a été constaté que les votes importants ne se faisaient pas sur la base de ce pour quoi on votait, mais dans l’optique de ce qui pourrait être assimilé à un test du positionnement politique, une manière de vérifier le consensus, de vérifier ce qu’obtiendrait Chahed, s’il allait devant l’Assemblée pour un vote de confiance », commente Chaïma Bouhlel, consultante politique.
Cette instrumentalisation de l’Assemblée des Représentants du peuple entraverait donc le rôle premier de législateur, au profit d’un rôle politique. « Désormais, au lieu de représenter le peuple, l’Assemblée devient un lieu de com-bat politique, par procuration », poursuit Bouhlel.
Ennahdha se positionne
La faiblesse du bloc de Nidaa Tounès représente, pour de nombreux observateurs, la faiblesse du parti au pouvoir et la mise à mal du président de la République. Alors qu’il avait 86 députés en 2014, le parti se fait dépasser par le bloc que composent ses démissionnaires.
Parmi les griefs que lancent ceux-ci à la direction de leur ancien parti, la mauvaise gestion et la querelle publique Hafedh-Chahed. Un appel à la dissolution de l’Assemblée a même été lancé par un des dirigeants du parti, Faouzi Elloumi, pour qui la composition au niveau des blocs parlementaires n’a plus rien à voir avec ce qui était voulu par les votes des Tunisiens.
Une mise en garde dans le même sens a été formulée par des dirigeants d’Ennahdha qui, dans une lettre adres- sée à leur leader Rached Ghannouchi, ont exprimé leurs craintes par rapport aux dysfonctionnements qui résulteraient d’une crise politique dont les répercussions ont atteint l’Assemblée.
Le mouvement Ennahdha a pris position très vite sur le conflit entre Nidaa et son ancien dirigeant à la présidence du gouvernement. C’est à travers son Majlès Choura, sorte de conclave des sages, que le parti islamique a manifesté son soutien à Youssef Chahed, un soutien conditionné mais utile à celui-ci compte tenu de la position de premier bloc parlementaire d’Ennahdha.
La condition au soutien étant le renoncement du chef du gouvernement à la présidentielle de 2019. Cet appui accordé à Chahed est à l’origine du divorce entre les deux « cheikhs », en l’occurrence Béji Caïd Essebsi et Rached Ghannouchi. Cette séparation a été annoncée par le président de la République lors de sa dernière intervention télévisée. Une séparation qu’ont niée des dirigeants d’Ennahdha, qui voient la déclaration du chef de l’État comme une énième manoeuvre politique.
Réunie les 6 et 7 octobre 2018, la Choura d’Ennahdha a insisté sur l’attachement de ses structures au consensus et à une bonne relation avec le président de la République, pour la stabilité du pays et la réussite des prochaines élections. Avec l’affaiblissement de Nidaa Tounès, c’est bien évidemment le mouvement Ennahdha qui devient ainsi le parti dominant, à l’approche des pro-chaines échéances électorales.
Un président politiquement aff aibli
Toutefois, « quand on observe l’éparpillement qu’a connu Nidaa Tounès, on constate qu’il n’y a plus un parti qui peut concurrencer Ennahdha. Les hésitations dont ce mouvement fait preuve quant à la querelle politique pourraient s’expliquer par le fait que celui-ci ne souhaite pas se retrouver dans la position du gagnant, seul », en tant que maître du jeu, interprète Chaïma Bouhlel.
Il n’en reste pas moins que le blocage perdure. Le président de la République est isolé, affaibli par la position de son parti, par l’image négative que lui inflige la présence politique de son fils et par sa non-puissance face à son filleul d’hier, un chef de gouvernement qui a décidé de lui tenir tête et qui semble gagner son bras de fer contre lui.
Quant à Youssef Chahed, même s’il n’a pas un appui assuré d’Ennahdha, il a pu bénéficier de sa part d’un facteur primordial pour gagner une bataille qui se jouera, forcément, à l’Assemblée des Représentants du peuple ; le temps de se préparer à d’autres échéances.
Nidaa redevient la deuxième force parlementaire
Le 14 octobre 2018, le parti Union Patriotique Libre (UPL) qui dispose d’un bloc parlementaire de 16 députés a annoncé son retrait du bloc de la Coalition nationale et sa fusion avec le parti Nidaa. Hasard du calendrier, le président de l’UPL, Slim Riahi, apprendra le lendemain que la chambre spécialisée dans les affaires de chèques sans provision, près du Tribunal de Première Instance de Tunis, a décidé d’abandonner les poursuites engagées contre lui.
L’arrivée à Nidaa de Slim Riahi, qui devient secrétaire général, est perçue comme un moyen pour Hafedh et Béji Caïd Essebsi de remporter leur bras de fer contre Youssef Chahed. Avec un bloc parlementaire qui revient à la deuxième position au moyen de la récente fusion, Nidaa relègue au troisième rang le bloc de la Coalition nationale, bloc considéré comme proche du chef du gouvernement.
La guerre des votes de confiance semble bel et bien entamée. Le « mercato » parlementaire n’en prendra que plus de valeur. C’est, en effet, à sa lumière que le président de la République décidera ou non de recourir à l’article 99 qui dispose que celui-ci peut demander aux Représentant du Peuple de procéder à un vote de confiance au gouvernement.