Un des principaux atouts économiques tunisiens, en l’occurrence le tourisme, pâtit depuis les changements politiques des dernières années d’une instabilité politique qui dure et d’un facteur terrorisme qui s’installe. L’image stéréotypée et de carte postale qui attirait des étrangers en quête de dépaysement n’est plus suffisante pour convaincre les plus réticents quant à la destination Tunisie. Tous les moyens sont bons pour réanimer un secteur qui souffre.
Amel Karboul, ministre du Tourisme, fraîchement débarquée de l’étranger, tentera comme elle pourra de faire monter les chiffres. Mais concrètement, les faits sont là : nous avons besoin de plus que cela pour que le secteur revive et reprenne sa position d’actant, vitale pour l’économie tunisienne.
Pour sauver le tourisme en Tunisie, la ministre du Tourisme en est devenue selon ses propres techniques l’égérie. A partir de sa personne elle a tenté, durant plusieurs mois, d’en donner une image luisante susceptible d’attirer les étrangers et de leur donner une idée positive sur notre pays.
Elle multipliera les apparitions sur les réseaux sociaux et, à coup de Selfies publiés sur Instagram, elle tentera de séduire les plus récalcitrants. Présente elle-même dans un spot destiné aux potentiels vacanciers canadiens, ou encore lors de salons professionnels en Allemagne et en Angleterre, elle sera vue et revue sur la toile. Elle s’affichera pieds nus à la plage, lors d’un déplacement officiel à Sousse ou en habits traditionnels, lors de la visite d’une entreprise dépendant de son secteur à Mahdia. Que de décalages jouant en faveur de la médiatisation de ses différents déplacements !
Les chiffres n’équivalent, cependant, aucunement à l’énergie débordante de la ministre ni à ses estimations. Selon les dernières statistiques, les recettes touristiques se chiffrent pour l’année en cours et, pour un décompte allant jusqu’au mois de juin, à environ 1.353,6 millions de dinars. Les nuitées globales sont de l’ordre des 11.001.583, les arrivées aux frontières s’élèvent quant à elles, à 2.656.002 personnes. Entre 2013 et 2014, point de grande différence si ce n’est quelques baisses au niveau des nuitées globales.
Au mois de juin, la ministre du Tourisme a déclaré qu’elle a revu à la baisse son estimation pour la saison estivale et que le chiffre de 7 millions de touristes qu’elle avait avancé était un chiffre « débile», qu’elle a utilisé « pour jouer le jeu, mais sans conviction. ». Le mensonge est avoué. Cela dégage quelque peu la ministre de la responsabilité de l’échec relatif marquant le gap entre ce qui a été annoncé et ce qui était potentiellement réalisable. Cela permet aussi de comprendre que, pour la réanimation d’un secteur qui souffre, l’image luisante d’une ministre décomplexée ne suffisait pas.
La stratégie adoptée au ministère du tourisme, c’est la stratégie « 3+1 » a indiqué Amel Karboul dans une conférence de presse. « Le 3 étant l’image, la qualité et la diversification et le +1 c’est la gouvernance derrière ». Pour ce qui est de l’image, son effet s’est avéré bien limité. Pour ce qui est de la qualité, notre réputation en la matière nous surpasse. Djerba était, avant que l’état de l’île ne se détériore, l’emblème de la douceur de la vie à la tunisienne. La situation environnementale y a atteint des proportions graves : une délégation gouvernementale tentera d’y trouver des solutions, la société civile ne les acceptera pas et l’île, comme son image auprès des touristes et tour operateurs, en pâtira forcément.
Ailleurs qu’à Djerba, et dans de nombreux sites balnéaires, les tarifs affichés demeurent plus chers que ceux pratiqués dans d’autres pays. Pourtant, nous avons depuis bientôt trois ans, une infrastructure se détériorant par manque d’entretien. Nous avons une qualité de service souffrant incontestablement des difficultés financières et de la pression quotidienne. Cela met, des fois, le touriste face à une agressivité qui demeure pour lui inexpliquée, une volonté gauchement cachée de l’arnaquer ou une insistance dans le contact frôlant le harcèlement. La destination Tunisie a de la concurrence et la compétitivité au niveau des prix est loin d’être la seule arme pour reconquérir l’arène.
En plus du terrorisme qui sévit en Tunisie et de l’image négative que cela donne désormais à notre pays, des faits divers pathétiques impactent négativement un secteur dont le mal-être devient chronique : Un tour opérateur assurant le nettoyage des rues, des touristes allemands ramassant les ordures des touristes russes bloqués à Enfidha sans un hôtel pour loger…
Pour remédier à ce manque à gagner, on tentera alors de séduire nos voisins algériens, de les attirer et de les choyer. L’ONTT organise, depuis le 4 août, et jusqu’en décembre 2014, une opération de bienvenue au profit des touristes algériens. En leur facilitant l’accès via les postes frontières et en leur proposant un accueil personnalisé au niveau des aéroports algérien et tunisien, la Tunisie vise à combler son déficit à travers le tourisme limitrophe.
Les Libyens assurent, quant à eux, le nombre d’entrées suffisantes pour rassurer ceux que les chiffres du tourisme en baisse pourraient inquiéter. Cependant, s’agit-il de tourisme, quand les Libyens arrivant en Tunisie s’installent dans la durée, louent des maisons « au noir » et scolarisent leurs enfants dans des écoles en Tunisie ? Il s’agit plutôt d’une forme nouvelle d’immigration face à laquelle le législateur n’a pas encore statué exhaustivement et dont les chiffres seront utilisés pour faire comme si les entrées en Tunisie étaient rassurantes.
Deux millions de touristes sont attendus pour les mois de juillet et d’août, c’est ce qu’a annoncé Amel Karboul lors du 1er weekend du mois d’août, dans le cadre d’une visite de travail à Mahdia . Plus qu’une vingtaine de jours pour que les spéculations de la ministre se réalisent, en espérant que celle-ci ne se rétracte pas, quelque temps après, pour parler de « chiffres débiles ».
Lors d’une interview accordée à une agence de presse allemande, la ministre du Tourisme a appelé les touristes à ne pas se rendre « au mont Châambi qui ne fait pas partie des sites touristiques ». Mise en garde utile ou ultime futilité d’une ministre qui ne maîtrise pas son portefeuille, selon certains acteurs du secteur. « Manifestement, notre ministère semble réduire sa mission à communiquer des objectifs qu’aucune action sérieuse ne vient conforter. Comme si l’efficacité se mesurait au nombre d’apparitions médiatiques et non pas au nombre de décisions en faveur du secteur. Notre ministère semble avoir renoncé à l’essentiel pour se contenter du superflu », lisait-on dans un communiqué publié par la Fédération tunisienne de l’Hôtellerie, en juin 2014.
Depuis, quoique la ministre parle, désormais, d’une orientation vers un tourisme de qualité, le constat demeure désolant : saleté ambiante que la campagne de propreté d’un mois n’a su combattre, détérioration des services et de l’infrastructure notamment aux aéroports et aux ports tunisiens, outre le climat de menace qui règne depuis les derniers attentats.
Cette image est également ternie par les nombreuses grèves. En effet, la dernière en date est celle de l’aéroport de Djerba-Zarzis, qui a débuté hier 14 août 2014 et devait se poursuivre les 15 et 16. Face à ces grèves à répétition, Amel Karboul déplore une situation aux conséquences négatives et prône un « dialogue constructif » entre administration et grévistes. De l’autre côté, le ministre du Transport se montre plus ferme et annonce des sanctions contre les grévistes. Cette grève a finalement été reportée par les syndicats à la fin du mois courant en attendant la tenue de nouvelles réunions.
« Les actions du ministère du Tourisme auront des résultats sur le long terme », déclarera récemment Amel Karboul sur Jawhara Fm. Mme Karboul n’a pas de baguette magique, diront ses acolytes. La société civile tunisienne en est, en revanche, une pour la Tunisie. Le combat des Djerbiens pour la propreté de leur île, les campagnes de nettoyage organisées dans certaines villes, l’initiative artistique ayant orné de fresques les murs de Djerba, sont l’exemple parlant de l’action qui se veut efficace et qui recèle, en son aspect engagé, l’espoir de lendemains meilleurs pour ce pays et pour ses secteurs vitaux comme le tourisme. N’en déplaise à certains hôteliers qui n’appréciant guère les locaux, selon les connaisseurs du secteur, c’est le Tunisien qui sauvera en grande partie la saison touristique 2014, au vu des taux de remplissage qui marqueront ce mois d’août.
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