La Tunisie a vécu, cette journée du dimanche 21 décembre, le dernier volet d’un parcours électoral commencé au mois d’octobre. La présidentielle ayant confronté, dans un premier temps, plus d’une vingtaine de candidats, a abouti au duel hier, entre Béji Caïd Essebsi et Mohamed Moncef Marzouki. C’est celui qu’on appelle, par raccourci,BCE qui a remporté le scrutin, selon les sondages réalisés à la sortie des urnes par trois sociétés de la place.
Une rechute du parcours démocratique ?
55,5% vs 45,5%. Tel serait le résultat de ce qu’on désigne déjà comme la première élection démocratique dans un pays arabe.
Pourtant, ce qui est vécu par la majorité comme une victoire est perçu par l’opinion publique internationale et représenté par les médias étrangers comme une rechute du parcours démocratique et comme un retour, forcément pathologique, vers le régime Ben Ali et ses sbires.
C’est que la vision réductrice et binaire du parcours tunisien avait opposé, dès la réussite d’Ennahdha en 2011, l’islamisme politique à la vision laïque (souvent représentée péjorativement par les plus extrémistes qui effectuaient un amalgame dangereux entre laïque et mécréant). Le politique et l’idéologique se sont donc entremêlés donnant, par dérivation, une fois les pions mélangés de nouveau, naissance à un enchevêtrement autre, opposant « révolutionnistes » et anti-révolutionnaires.
Une scission pragmatiques/rigoristes
La réussite du camps démocratique représenté par Nidaa Tounes aux élections législatives et la cohabitation pour l’instant harmonieuse entre Ennahdha et le parti de BCE, place désormais les islamistes tunisiens non plus du côté de leur ami Marzouki et de la Troïka ayant commandé la Tunisie pendant 3 ans, mais du côté de BCE, en théorie.
Ce qui est valable sur le plan théorique n’a, en revanche, pas été prouvé sur le plan pratique. En effet, le parti Ennahdha réputé pour la discipline quasi-religieuse de ses disciples, quoique n’ayant pas de candidat à la présidentielle, a vécu, pendant la dernière élection, une épreuve de taille.
Celle-ci a abouti à une expression dissidente inhabituelle au sein de ce parti, à la démission d’un dirigeant et ancien chef de gouvernement, en l’occurrence Hamadi Jebali, et à une scission pragmatiques/rigoristes, au sein du parti de Rached Ghannouchi.
La même vision binaire a donc placé la Tunisie au centre d’une querelle opposant les révolutionnaires et les figures du retour de la dictature.
Le discours de Marzouki n’a pas rassemblé les Tunisiens
Moncef Marzouki a ainsi été présenté comme le candidat représentant le dernier bastion des garants de la révolution et de ses valeurs, non pas sur la base de son passé récent à la tête du pays mais sur la base de son passé désormais lointain de défenseur des droits de l’Homme.
Malgré le vote en masse des islamistes en sa faveur, malgré son discours tranché et tranchant, malgré un positionnement binaire l’ayant placé dans la case de l’alternative au retour à la dictature, Moncef Marzouki a perdu l’élection présidentielle. Sa défaite n’est pas celle de la révolution, comme la victoire de BCE n’est pas celle de la dictature contre laquelle le peuple s’était insurgé.
Si Moncef Marzouki a perdu, c’est parce que la majorité qui s’est exprimée à travers des bulletins dans l’urne n’a pas été satisfaite de son rendement à la présidence de la République pendant trois ans, c’est parce que son retranchement politique a dérangé, c’est parce que son discours n’a pas été rassembleur mais divisant les Tunisiens et parce que les valeurs qu’il dit incarner n’ont pas été présentes dans son discours et sa campagne.
La majorité des Tunisiens, même les plus indécis d’entre eux a, au vu des résultats préliminaires, refusé de s’aligner derrière un président sortant et candidat à sa propre succession ayant comme soutien celui d’extrémistes en tous genres ; un président ayant focalisé sa campagne non pas autour des idées mais autour de l’âge de l’adversaire moqué publiquement et même à travers des affiches, un président dont l’équipe a l’air d’avoir du mal à admettre la défaite et dont le discours aux allures menaçantes évoque, allusivement, guerre civile et soulèvement populaire.
La victoire d’une majorité de Tunisiens
Quant à Béji Caïd Essebsi, sa victoire est celle d’une majorité de Tunisiens ayant envie de voir le pays changer de bord, de tourner la page difficile d’une politique laxiste avec ceux qui prônent l’extrémisme comme mode de pensée et de communication.
Ces Tunisiens ont fêté hier soir devant le QG de Nidaa Tounes et dans plusieurs villes, non pas la victoire de BCE, mais l’avènement d’une période nouvelle. Une ère nouvelle s’annonce donc en Tunisie à laquelle BCE devra se démarquer de la « nouvelle ère » qui désignait en Tunisie d’une manière méliorative et surtout laudatrice le régime Ben Ali.
Choisi par la majorité, il doit aussi réussir à être le président écouté et respecté de la « minorité », dans une harmonie de discours et d’actions difficile à trouver mais certainement bénéfique dans ce pays que guettent, d’un côté, la dictature et, de l’autre, l’extrémisme. Au vu de la scène politique internationale et des dénouements souvent tragiques qu’a vécus l’épisode révolutionnaire dans certains pays arabes, certains penseront que cela est difficile.
Mais difficile n’est pas Tunisien!
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