Le compte Twitter de « Ifriqia lel ilem », réputé proche de Daech en Libye, a annoncé la mort du terroriste tunisien Ahmed Rouissi. Le terroriste aurait été tué dans une attaque de Fajr Libya. Ahemd Rouissi n’est pas le premier tunisien à être devenu un terroriste notoire. Un grand contingent tunisien se trouve en Syrie, également et ailleurs, là où le terrorisme foisonne.
Et le terrorisme est parmi nous! C’est un constat que nous faisons au lendemain de chaque attaque sanglante. Que cela ait lieu à Paris, à Copenhague, ou au mont Châambi, c’est dans l’imminence que nous réagissons par rapport à l’horreur immédiate, malgré sa latente constance. Ce n’est pourtant pas au moyen des réactions à chaud que nous pourrons mettre à bas ce mal devenu universel. Nous ne pourrons achever la bête immonde, qu’une fois l’avoir bien connue, saisi ses points forts et ses défaillances, sa nature et celle de ses motivations.
Le terroriste est un être communicant… avec ses semblables
L’Algérie avait connu le terrorisme avant qu’il n’ait pris sa dimension technologique nouvelle, avant que Facebook ne soit utilisé pour le partage des vidéos, avant que Twitter n’existe pour les annoncer, avant que Skype ne soit l’instrument de communication des terroristes branchés et connectés. Le terrorisme qui avait frappé l’Algérie avait été étouffé, faute de moyens de communication pouvant faire du phénomène local un phénomène international. Sa perception a donc été différente de celle qu’on porte quant aux attentats « contemporains ». Le terrorisme qui a fait saigner n’a pas connu la dimension transnationale que connait le terrorisme actuel ; et la menace, on la sentait circoncite, avec un champ d’action limité géographiquement.
C’est désormais à travers les réseaux sociaux tels que Facebook et twitter que les ramifications islamistes hiérarchiquement stratégiques se tissent. C’est à travers les forums de discussion, les bases de partage de vidéos, photos et textes que les réseaux terroristes ont pu se maintenir et proliférer. C’est à travers les sites d’échanges et de discussions comme Skype que les relations sont maintenues entre des éléments éparpillés dans le monde. C’est au moyen des dernières technologies d’image que l’horreur se met en scène.
Le terrorisme n’est plus anarchique, il est structuré, réfléchi, préparé, annoncé. Dans la vidéo où on voit 21 djihadistes égorger 21 coptes, le « narrateur » lance vers la fin du « film » une menace à l’égard de l’Italie. L’effet de surprise n’en est que plus intensifié par une technique de teasing qui fait froid au dos. En Tunisie, le lancement se fait sur les réseaux sociaux où l’on annonce de bonnes nouvelles avant que ne tombent celles faisant état de frappes mortelles parmi les agents de l’ordre. Le terroriste cesse donc de progresser dans la marginalité et dans la discrétion. Il est plus présent, plus narguant, malgré tous les moyens mis au point pour le combattre.
« La réponse strictement militaire a été incapable de faire cesser les attentats terroristes », avait écrit Barthélémy Courmont, chercheur associé à l’IRIS et professeur de sciences politiques. Celui qui expose dans son livre l’approche américaine désormais plus analytique que défensive voit la force des terroristes résider en leur « capacité à affaiblir un adversaire ultra-puissant à l’aide de moyens limités transformant la guerre en une tension psychologique permanente ». Le terroriste cesse, de ce fait, d’être la personne mal intégrée, renfermée sur elle-même, échappant à sa société et en marge de ses repères. Il est présent, voire omniprésent. Il connait son adversaire qui n’est pourtant pas une personne mais une institution. Il maîtrise ses défaillances pour pouvoir bien le frapper et anticipe ses réactions pour pouvoir faire plus mal.
Le terroriste est un être épanoui… dans son cercle
« Il y a les privations, les frustrations, les sentiments d’offense, les manipulations de toutes sortes par des Etats ou des groupes, il y a la haine de soi et de l’autre. Il faut examiner chaque cas pour voir la composition particulière de cet algorithme de la violence », explique le psychanalyste tunisien, Fethi Ben Slama.
Très longtemps, le djihadiste retranché a été perçu comme un être marginalisé volontairement ou suite à un endoctrinement l’ayant fait sombrer dans l’extrémisme. Plusieurs analystes avaient fait de lui le portrait d’une personne manipulable et influençable car de faible caractère et d’un tempérament tendant plus vers la frustration que vers l’épanouissement. Pourtant, ces membres de nationalités différentes présentent une insertion optimale dans le groupe devenu microcosme et en deviennent unité à travers l’idéologie. La dispersion géographique et les différences culturelles s’estompent au profit d’une unité idéologique et de celle du but commun. Celui qui est externe au groupe verra, en ce but, une grande arnaque, celui qui en fait partie y verra un idéal à atteindre. Il sera stimulé par des plus forts que lui, hiérarchiquement et psychologiquement, car hiérarchie et guerre psychologique il y a.
Le point commun entre les jeunes endoctrinés est la perception qu’ils ont désormais du monde, une vision sans nuances, manichéenne basée sur le bon et le mauvais. Les critères sont d’une seule nature et celle-ci relève des valeurs, celles de l’islam évidemment, mais selon une lecture propre au cercle. Et c’est dans le cercle qu’on se développe désormais car le cercle rassure, quoique devenant vicieux, une fois bien imbriqués dedans. Devenant un membre du groupe, évoluant comme une partie et non plus comme individualité, les jeunes djihadistes changent de vie, de cadre et d’entourage.
Le terroriste est un être motivé… par les objectifs du groupe
David Canter, psychologue britannique de l’Université de Liverpool, avait tenté d’établir des profils psychologiques faisant de citoyens ordinaires des terroristes. Les résultats de ses entretiens avec des terroristes emprisonnés « ne correspondent en rien aux stéréotypes occidentaux dominants ». Il écrit ainsi dans les Visages du Terrorisme que « la chose la plus inquiétante concernant les terroristes est le fait qu’ils paraissent tout à fait normaux, qu’ils sont bien éduqués et qu’ils ne montrent aucune indication de maladie mentale dans leur interaction avec le monde. »
La vision stéréotypée du terroriste en devient ainsi désuète et force est de constater qu’il n’y a pas un seul type de personnalité qui prime. Une étude menée par le psychiatre expert en terrorisme Sageman a permis de démontrer que, dans un groupe de terroristes d’Al Qaïda, seul le quart n’avait pas d’emploi au moment de son départ pour le djihad. Quant au profil psychologique de l’échantillon d’une centaine de terroristes choisis, Sageman révèle qu’ils ne présentent pas de troubles psychologiques particuliers. Le psychiatre américain a même développé une thèse selon laquelle une personne asociale ne pourrait pas évoluer dans un groupe terroriste et être encline à se soumettre aux ordres.
Ce qui est commun à ces jeunes et moins jeunes partis au djihad est un contexte national particulier pour le cas de la Tunisie. Des libertés de culte exercées après des années d’oppression, un regain d’intérêt pour la foi et un endoctrinement structuré et probant, font partie des réponses qu’on pourrait apposer à une question que beaucoup se posent : pourquoi cette déviation de parcours ?
« Il y a les rétributions narcissiques, celles de devenir un héros, un chevalier de la vengeance (…) On anoblit ses pulsions agressives ou meurtrières par le radicalisme identitaire. Il y a aussi des rétributions matérielles et économiques, c’est connu, l’engagement dans le radicalisme est payé de diverses manières. », explique encore Fethi Ben Slama. Ainsi, stimulé par un certain idéal ou par ce qu’en réalisant il gagnerait, le terroriste est prêt à oublier parents et enfants, à entamer une vie de sacrifices jalonnées, à renoncer à ses repères et à en prendre d’autres. Le tout au bénéfice du groupe, de l’idéologie et de ses projets. C’est la promesse d’un au-delà meilleur qui motivera certains kamikazes, c’est le rêve de se voir entouré de Houryiates (jolies femmes qu’on retrouve dans l’au-delà) qui fera commettre les pires assassinats à d’autres. C’est l’ambition de faire régner la pensée commune qui motive le groupe, c’est une ambition plus individualisé qui motive les « singularités »formant le groupe.
Comme signe de rupture avec leur ancien mode de vie, ils troquent leur vraie identité contre des pseudonymes. Ils renoncent à leur appartenance citoyenne en renonçant aux valeurs de citoyenneté régissant la patrie et la relation à elle. C’est là un des arguments avancés par ceux qui pensent inadéquat le fait de traiter les extrémistes religieux selon le prisme de la tolérance, des droits de l’Homme et des valeurs de respect qui en découlent. « Si ces personnes ne se soumettent pas aux lois de l’Etat, pourquoi l’Etat doit-il les traiter selon ses codes ? », entend-on souvent dire. Pareilles réflexions sont susceptibles de mener le pays vers des écarts quant aux lois existantes et celles en cours de mise en place, vers des dépassements en tous genres et une remise en cause des libertés personnelles chèrement acquises, rétorquent les organismes défendant les droits de l’Homme. Une rigueur dans la manière de traiter le terroriste et de traiter avec lui doit forcément passer par une législation ferme et sans ambigüité, c’est ce que l’on préconise en réponse.
Le terroriste est un citoyen… qui n’est plus
La réinsertion de citoyens passés par la case terrorisme présente des spécificités particulières. A deux reprises, des présidents tunisiens diront explicitement la disposition du pays à réintégrer des éléments retournant du Djihad, que ceux-ci restent Tunisiens et qu’en cas de « rédemption », ils seront les bienvenus. On entendra d’autres proposer sévèrement que la nationalité tunisienne leur soit retirée. Et on verra la France mettre à exécution ce choix radical. Ces jeunes partis combattre au nom d’Allah peuvent-ils retrouver une vie normale après avoir coupé les attaches avec leur environnement naturel ? La question peut s’envisager d’un point de vue psychologique car ces individus ont vécu des situations extrêmes, ont vu la mort de près, l’ont, pour certains cas, donnée. L’idée d’une vie normale après avoir traumatisé et été traumatisé relève, selon certains praticiens, de la théorie, celle pouvant faire d’eux de véritables cas d’école nécessitant plutôt une observation régulière.
Pour le moment, et pour la majeure partie, les individus partis en Syrie ou en Iraq combattre n’en sont pas là. Ces jeunes hommes et femmes partent avec l’intention de mourir pour Dieu. La mort est inhérente à leur projet de vie nouveau, elle en est la finalité et non uniquement la fin. A partir de pareille perception de sa propre mort, un jeune endoctriné en arrive à banaliser la mort en général y compris celle des autres. C’est ainsi qu’on voit des terroristes achever sans l’ombre d’une hésitation d’autres personnes. On les voit mettre en scène pareils massacres et brandir fièrement les têtes coupées.
« Le processus de radicalisation, et pas seulement dans le cas des djihadistes, conduit à une désensibilisation progressive) l’empathie pour autrui, jusqu’à la négation de l’humanité du prochain, ce qui permet de le traiter comme un animal ou une chose », précise Dr Ben Slama. L’acte terroriste, selon le prisme à travers lequel on l’aborde, selon la réflexion et l’appartenance idéologique, est désormais apte à être interprété de deux manières : nous y verrons de la barbarie, ils y verront un acte de bravoure, une preuve extrême de l’adoration de Dieu. Plusieurs personnes ont d’ailleurs fêté, à chaque attentat, le meurtre de membres des forces de l’ordre, ceux que nous considérons comme martyrs et que les extrémistes voient comme des taghouts ennemis de Dieu.
« L’important, pour des terroristes, c’est qu’on parle d’eux. Couper une tête avec un couteau à beurre, ça fait davantage peur aux gens que de tuer quelqu’un avec un fusil », a écrit Samuel Leistedt, psychiatre et expert en terrorisme qui a écrit de nombreux articles sur les aspects comportementaux du terrorisme. Incontestablement, ce que cherche d’une manière consciente ou inconsciente un terroriste c’est ce passage de l’inutilité à une notion très relative de l’utilité. Leur but même tragique (leur propre mort) et fatal (celle des autres) devenant motivation leur donne une impression d’importance, une ascendance sur autrui, une puissance à travers la crainte suscitée. Le tout dans une mystification de l’assassinat faisant de ce qui est interdit par la religion et par la loi, un acte légitime et quasi-religieux.
Comme la découverte d’un vaccin fait l’objet d’études préliminaires approfondies, l’appréhension du phénomène terroriste s’envisage dans la durée et dans la profondeur. Les politiciens ont beau exprimer leur dénonciation de la violence, les pays voisins et amis ont beau écrire leur soutien dans des communiqués, les plateaux ont beau se tenir et tenir en haleine un téléspectateur qui au final n’en sortira avec rien, la démarche n’est certainement pas la bonne car le maillon essentiel de la chaîne demeure manquant. A-t-on abordé le terrorisme d’un point de vue analytique autre que politique ? A-t-on étudié le terrorisme comme phénomène social ? A-t-on étudié le profil terroriste d’un point de vue psychologique ? Certainement pas assez.
C’est pourtant la démarche méthodique qui pourra amener les réponses adéquates et non celles standards. Samuel Leistedt, professeur de psychiatrie légale spécialiste en terrorisme écrivait « Il n’existe pas de définition du terrorisme qui fasse l’unanimité. Mais il y a un dénominateur commun chez les terroristes: ils veulent faire passer une idée, un concept, une idéologie, de façon brutale, sur des cibles symboliques, en causant des dommages ». Tâchons de ne pas rester focalisés sur les dommages et de regarder plus loin pour pouvoir, sur le long terme, les éviter !
Liens utiles:
L’après-Ben Laden, l’ennemi sans visage, de Barthélémy Courmont, François-Bourin Editeur, Paris, 2011.
Le Vrai visage des terroristes : Psychologie et sociologie des acteurs du djihad, Marc Sageman
The faces of terrorism, édité par David Canter, 2010