Il y a, incontestablement, un grand décalage entre l’actualité et la réalité. La satisfaction des politiciens quant à la situation du pays n’a d’égale que l’état de déliquescence qu’il connaît. Leur optimisme pour le futur est à la mesure du défaitisme ambiant quant à une amélioration proche. Le pays va mal. Cela ne se lit pas dans les chiffres officiels et ne se dit pas dans les discours mais se constate au quotidien, dans nos villes, dans nos rues, sur nos trottoirs, sur nos plages ou lorsque le plafond d’un aéroport s’écroule à cause des pluies.
Outre le baiser nuptial, ce qui a le plus intéressé cette semaine au vu de l’intérêt des lecteurs est cette pseudo brigade des mœurs œuvrant à El Haouaria. L’information qui a choqué et surpris ne serait que le fruit d’un malentendu et la brigade en question serait tout bonnement composée de citoyens sensibles à l’état de délabrement que connaît leur région depuis peu. Il est vrai que la propreté fait partie des mœurs et de la morale et que des « sans-morales » sévissent de plus en plus nonchalamment en Tunisie.
Partout en Tunisie, que ce soit dans les quartiers modernes de la capitale ou dans les petites villes, la propreté semble devenir un terme inconnu. Les campagnes la prônant concentrent un effort occasionnel très vite suppléé par des ordures jonchant le sol et un état de délabrement dépassant l’entendement. Il fut un temps – non regrettable qu’en cela – où le moindre fait enregistré, le moindre manquement constaté faisait l’objet de savonnades, de sanctions, de limogeages. C’était le temps où on travaillait non pas par amour pour son métier et accessoirement pour le pays mais sous la crainte du système aux yeux grands ouverts partout et en tout temps.
La liberté ayant fait son entrée sans préparation et la crainte étant dissipée, c’est une Tunisie autre qui se découvre chaque jour et qui découvre les travers du Tunisien, ravageurs pour lui-même, son cadre et pour l’Autre avec qui il cohabite. Tous lâchent désormais prise, y compris l’Etat et ses hommes de main. Nous avons un ministère pour l’Equipement, un ministère pour l’Environnement et un autre pour le Tourisme. Trois ministres et des milliers de fonctionnaires et d’employés et pourtant rien ne va plus. Le pays vieillit mal et son image en pâtit régulièrement.
Dimanche dernier à Chott Meriem, les riverains se sont plaints d’eaux usées des égouts directement déversées dans la mer près des baigneurs. Quelques semaines plus tôt des faits similaires ont été constatés à Hammamet. On évoque des enfants ayant eu des malaises en nombre après des baignades dans certaines régions du Cap Bon. Le ministère de la Santé a démenti ladite information. Les infections constatées n’auraient pas de corrélation avec l’état des mers en Tunisie. Pourtant de nombreux citoyens s’étaient plaints d’odeurs nauséabondes pouvant provenir d’évacuations des eaux usées non loin des rivages.
En matière de tourisme et que le client en villégiature soit tunisien, algérien ou venant de plus loin, cela ne peut que rendre plus négative l’image de la destination Tunisie. Il faut dire que le pays souffre déjà de l’effet du terrorisme ayant frappé un secteur vital. L’image de la Tunisie qu’on maquille dans les discours officiels et dans les plans de communication ciblés n’est, de près, pas très florissante. Mêmes dans les régions touristiques et en pleine capitale, les rues sont plongées dans le noir dès que la nuit tombe. Etrange, glauque et très négatif pour le secteur touristique.
Il faut dire que le secteur se sabote lui-même, malgré des taux de remplissage assez importants en dépit de la crise que laissait craindre le dernier attentat de Sousse. Le client tunisien et celui algérien feraient moins le bonheur de nos hôteliers et des employés du secteur que la clientèle européenne ayant payé au plus bas des tarifs des séjours vendus au préalable à des tour opérateurs internationaux. Moins de devises mais des caisses remplies, moins de devises et des hôtels affichant complet alors que l’on continue encore à pleurer le tourisme tunisien et à réclamer de l’aide. Ingratitude ou réel manque de civisme du client tunisien ? Il faut dire que l’ingratitude est-elle même une forme d’incivisme. « Les mœurs font toujours de meilleurs citoyens que les lois », écrivait Montesquieu. C’est dans ce sens qu’il serait utile de combattre pour le respect des mœurs et de la bonne éducation. Cela pourrait réveiller les consciences endormies et celles tentant d’endormir le citoyen. Notre crise est d’ordre moral et, en matière de civisme, il nous faut désormais plus qu’une brigade de casques verts à El Haouaria.
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